Ivan est DG d’un important EPHAD. Au sein des aides-soignantes, il rencontre des difficultés avec l’une des collaboratrices. Celle-ci a déjà fait fuir trois collègues et mis un autre en arrêt maladie. Elle garde la conviction profonde et permanente que ces collègues ont tort, si bien que toute conversation tourne en rond. Cependant la performance de cette personne reste bonne mais son comportement est franchement insupportable à vivre, tant elle semble méfiante et contrôlante vis à vis des autres. Ivan cherche conseil pour gérer au mieux la situation.
Catégoriser les individus et leurs comportements peut induire un malaise. Dans le sens où cette démarche aliène l’autonomie des personnes et peuvent empêcher leurs devenirs. Alors pourquoi parler de personnalités difficiles ? Il arrive que lors d’interventions, des clients soient confrontés à ce type de situation : un groupe souffre du comportement problématique d’une personne ; celle-ci ne souhaitant, ou ne pouvant pas, entendre raison.
Bien souvent les comportements ont des conséquences importantes pour la santé-sécurité des salariés et l’entreprise ne sait pas toujours comment s’en sortir. On laisse la situation se détériorer, et l’organisation s’adapte aux comportements problématiques. Le contexte juridique et la connaissance grand public de la psychologie, encouragent les salariés à porter plainte dans l’espoir que l’organisation réagisse. Lorsqu’un problème de personnalité déstabilise le collectif, la pertinence des catégories favorise la compréhension et la mise en place de stratégies d’intervention.
Comment définir une personnalité difficile ?
Les attitudes et comportements d’un individu sont déterminés par un système de croyance qui se construit dès l’enfance. Les origines de ce système relève autant du domaine de l’acquis (notre environnement social) que de l’innée (notre héritage biologique). Ces systèmes de croyances peuvent être suffisamment rigides pour entrainer chez certains, des comportements et attitudes dysfonctionnelles. A priori, nous n’avons accès qu’à l’observation des comportements et au discours d’une personne. Je partirai donc de ces éléments perceptibles pour décrire une personnalité difficile : «Personne ayant un ensemble des comportements problématiques, rigides, répétés et rationalisés».
· Les comportements ont des conséquences négatives pour l’entourage et pour l’individu lui-même.
· Celui-ci est capable de justifier ces comportements par une histoire rationnalisée, limitant les possibilités de remise en question.
La personne est figée dans ses comportements et, quel que soit la situation à laquelle elle doit faire face, adopte les mêmes stratégies d’adaptation.
Les recherches en psychologie de la personnalité et en psychopathologie permettent, avec toutes les précautions d’usage, d’identifier quelques grandes tendances comportementales, que l’on nomme des troubles de la personnalité :
· Paranoïaque : une méfiance exacerbée. Percevant l’autre comme une menace, cette personne attaque les autres en préventif ou lors d’un signal qu’elle seule perçoit.
· Histrionique : le monde est un théâtre dans lequel elle doit briller. Toute relation est érotisée, alors qu’aucune sincérité ne s’installe réellement.
· Obsessionnelle compulsive : ne supporte pas le manque de contrôle. Va tenter d’annihiler la subjectivité de l’autre par des règles rigides et aliénantes. Son perfectionnisme va mettre les autres en impuissance apprise, car le résultat n’est jamais à la hauteur de ses attentes
· Narcissique : personne ne reconnaît suffisamment sa grande valeur. Instrumentalise l’autre pour son plaisir. Il possède souvent beaucoup de charme mais une vie intérieure assez faible et très peu d’empathie.
· Antisociale : les règles sont faites pour être contournées. Plus vous cadrez, plus son impulsivité la pousse à sortir des limites ; y compris par la violence.
· Schizoïde : peut vivre seule sur une île déserte. Plus la distance est grande entre elle et les autres, mieux c’est. Ne supporte que très difficilement l’intimité.
· Schizotypique : ne sait pas très bien faire la différence entre elle et les autres. Entretient des rapports sociaux confus, mêlant magie et excentricité.
· Dépendante : ne peut pas prendre de décision. Le choix l’angoisse et elle cherche à ce que l’on décide à sa place. Négation de sa propre subjectivité.
· Évitante : anticipe des scénarios catastrophes sur tout et rien. Souffre d’une faible estime de sa capacité à faire face au monde et aux rapports sociaux. Se met en échec programmé.
· Borderline : instabilité émotionnelle constante, poussant à des comportements de dépendance (drogue, alcool, jeu, sexe, travail, internet, sport) avec une alternance de périodes euphoriques et de dépression.
Ces traits de personnalités sont des caricatures de traits que possèdent tout un chacun. Comment donc déterminer si la situation relève d’une personnalité difficile ? En partant d’observations de terrain, je distingue 7 signaux d’alerte, indépendants les uns des autres :
· Des effets sur la santé physique et mentale de l’entourage.
· Une conséquence sur le respect et la dignité de l’entourage.
· De fréquents arrêts de travail.
· Une grande difficulté au travail en équipe.
· Des plaintes répétées de harcèlement moral, quel que soit le supérieur.
· Des plaintes régulières des clients.
· Un problème récurrent de respect des règles de l’organisation.
J’estime que 4 signaux sur 7 peuvent indiquer une situation de personnalité difficile. Les différentes conséquences peuvent être clarifiées à l’aide d’un graphique (figure 1).
Figure 1 : Les conséquences des personnalités difficiles
Ce graphique permet à l’entreprise de se poser la question de la bonne attitude à adopter en fonction de la configuration :
· Problème caché mais à risque juridique : dans cette situation, l’entreprise sait que l’un des salariés a des comportements problématiques. Ces comportements ont des conséquences pour ses collègues mais ne sont pas visibles par les clients et autres parties prenantes de l’entreprise. Mon expérience démontre que les collègues s’adaptent dans un premier temps mais peuvent finir par se révolter contre la personnalité difficile. Ils peuvent alors porter plainte auprès de l’entreprise voire, de la police. Il se peut également que des IRP se saisissent de la situation pour porter à la connaissance de l’entreprise son obligation de sécurité de résultat. La situation est certes sérieuse d’un point de vue de la santé mais la décision d’intervention peut encore se soumettre aux choix de l’urgence des priorités.
· Problème d’image et de risque juridique : la situation cumule l’ensemble des conséquences négatives. Les salariés subissent les comportements problématiques et leurs atteintes est perceptible par les observateurs (client, parties prenantes), l’image de l’entreprise s’en trouve fortement influencée. Cette publicisation peut accélérer la décision des salariés à porter plainte. L’entreprise est en grande fragilité, car elle démontre publiquement son manque d’obligation de sécurité de résultat. L’entreprise doit considérer la situation comme urgente et grave. Un dirigeant qui ne gère pas cette situation peut être considéré comme faisant défaut de responsabilité.
· Pas de risque : cette configuration est la plus favorable et celle qui permet l’insertion d’un salarié souffrant d’un trouble de la personnalité. Cette configuration existe grâce aux moyens trouvés pour réguler les conséquences négatives des comportements problématiques du salarié. Cette réponse ne correspond en rien à un isolement volontaire de l’individu, une mise au placard est assimilable à un acte discriminatoire et harcelant. Les entreprises ayant réussi à éviter les risques qu’apportent une personnalité difficile ont pris le temps de coordonner les acteurs de la santé (RH, IRP, SST, management, Assistante Sociale, Psychologue du travail,…) ; elles ont accepté d’intégrer cette dimension de la réalité et de s’y adapter. En dépit du faible risque encouru, il convient cependant de suivre l’évolution de la situation pour s’assurer qu’elle ne se dégrade.
· Problème d’image : les conséquences négatives sont bien régulées pour les salariés, mais il existe des conséquences négatives pour les clients ou les parties prenantes de l’entreprise. Dans un sens, le risque est minime, car il n’y a pas de manquement sur l’obligation de sécurité de résultat. C’est surtout sur l’impact d’image que l’entreprise doit se positionner. Paradoxalement, cette configuration occasionne d’avantage de réactions démesurées de la part de l’entreprise dans le sens où l’urgence reste faible. Mais une réaction excessive risque d’engendrer une dégradation de la situation et d’amenée l’entreprise dans ce que nous avons défini comme étant la configuration II. La résolution d’un problème d’image nécessite un certain recul dans la gestion de la situation.
Etude de cas
Au sein d’une association de réinsertion sociale, Philippe gère une équipe d’éducateurs spécialisés. L’équipe tourne bien mais Philippe a un souci important avec l’un de ses éducateurs. Celui-ci semble avoir des contrariétés avec les règles. Alors que le reste de l’équipe s’y soumet normalement, cet éducateur s’emporte dès qu’on lui rappelle quelques règles comme remplir le fichier de suivi des personnes. Les autres en ont assez mais se sont accommodés de la situation. Un jour cet éducateur s’énerve auprès d’un « client » et lui porte un coup. L’association s’en sépare.
Quels sont les rôles des différents acteurs ?
Le tableau 1 permet d’identifier les rôles des différents acteurs de l’entreprise impliqués dans ce type de situation. Il s’agit bien évidemment d’une base et ces repères doivent pouvoir s’adapter à la culture d’entreprise. Une bonne pratique consiste à se mettre autour de la table pour discuter et construire une classification individualisée des rôles proposés ci-dessous.
Tableau 1 : Les rôles des différents acteurs
DRH | Manager | CSSCT | Collègues | Assistante sociale | Médecin du travail |
Il doit faire en sorte de trouver le poste de travail le plus à même de convenir à la personne et à son entourage. Clarifier les règles du jeu par rapport à la situation. Qu’est-ce qui peut être considéré comme une ligne rouge à ne pas franchir ? Responsable du suivi de la situation et de la coordination des acteurs. Il doit pouvoir se positionner sur une éventuelle mesure disciplinaire.
| Il doit gérer la dynamique globale de l’équipe en essayant d’intégrer la personne. Il est le garant du résultat et de la santé-sécurité de ses collaborateurs. Il est donc légitime à recadrer ce qui se détériore sur la santé et la performance. Il doit également se coordonner avec les différents acteurs de la santé. Il n’a pas à trouver de solutions aux problèmes personnels de la personne. | Ne pas instrumentaliser une situation individuelle à des fins collectives. S’assurer que la situation est prise en charge par l’entreprise dans le cadre de son obligation de sécurité de résultat. Alerter si un des membres a connaissance d’une situation de danger grave et imminente. | S’adapter dans les limites de leur propre bien-être personnel et professionnel. Alerter l’entreprise et le management lorsque les conséquences négatives commencent à déborder les capacités de régulation du collectif ou en cas d’impact négatif pour l’image de l’entreprise. | Identifier les différentes solutions possibles si le trait de personnalité commence à avoir des conséquences pour les finances de la personne. En cas d’arrêt long du travail, elle peut rendre visite à la personne pour préparer son retour au travail. | Se positionner sur l’aptitude de la personne et conseiller la direction sur le type de poste possible. Rôle d’alerte en cas de risque pour la santé sécurité de la personne et de son entourage. Peut motiver la personne à être prise en charge dans un cadre thérapeutique. |
Quelles sont les stratégies possibles en fonction des différentes personnalités ?
Dans les limites du respect et de la dignité, le milieu professionnel nous oblige toutes et tous, un jour ou l’autre, à nous adapter à ce type de collègue. Comment faire ? Premièrement, oublier l’idée que l’on peut le réparer ou le changer. Au mieux, il est possible de faciliter la stabilisation des comportements problématiques. Nous sommes typiquement dans le cadre d’une stratégie des petites victoires. Deuxièmement, il est nécessaire d’avoir une réponse collective, permettant de matérialiser les règles du jeu, par la cohérence et la constance des réactions de chacun. Plusieurs stratégies sont donc possibles (tableau 1).
Tableau 2 : Stratégies possibles face à des comportements problématiques
Schémas de pensée | Comportements problématiques | Stratégies possibles | |
Paranoïaque | « on veut m’attaquer » | déstabilisation, violence
| Rester dans une attitude la plus neutre possible. |
Obsessionnelle | « je dois tout contrôler » | hyper-contrôle aliénation
| Donner des limites au contrôle et à la charge de travail qu’il vous impose. |
Narcissique | « je suis exceptionnel » | Instrumentalisation de l’autre, manipulation | Eviter de s’investir émotionnellement dans la relation. |
Antisociale | « je n’ai pas de limites » | passage à l’acte, violence
| Rappeler la règle, le cadre. Sanctionner ou demander des sanctions. |
Schizoïde | « je ne supporte pas l’intimité» | retrait social
| Lui laisser des temps de solitude. |
Schizotypique | « le monde est étrange » | ésotérisme ; bizarrerie
| Ne pas réagir avec excès aux comportements « bizarres ». Ne pas les encourager. |
Dépendante | « je dois trouver quelqu’un qui décide à ma place » | procrastination
| Ne pas décider à sa place. Ne pas lui demander quelles sont ses options mais lui proposer de choisir entre 2 à 3 options. |
Évitante | « j’ai peur du risque » | évitement
| L’accompagner graduellement et lentement, dans la prise de risque. |
Borderline | « je dois obéir à mes impulsivités » | marginalisation, abus de substances psychoactives
| Recadrer les comportements dysfonctionnels. |
Histrionique | « je dois séduire pour exister » | séduction, hyper-sexualisation
| Ne pas s’investir émotionnellement dans la relation. |
Mes observations m’ont permis de prendre conscience de la difficulté pour de nombreux managers de recadrer les comportements inadmissibles. Cette absence de réactions et la difficulté ressentie sont d’autant plus accentuées que les règles de vie en commun sont insuffisamment explicitées. La première étape d’une intervention réussie consiste à aider les différents protagonistes à définir collectivement les règles de conduite à tenir.
Etude de cas
Dans cet Ephad, situé en Ile de France, le recrutement des aides-soignantes reste difficile, surtout pour le service de nuit et le week-end. La cheffe de service est plutôt rigoureuse mais également très évitante face aux conflits. Elle gère depuis « son bureau ». Dans ce contexte émerge une personnalité forte mais négative, qui prend le dessus sur ses collègues et qui met en place un véritable système déviant de vols de matériel et d’affaires appartenant aux résidants. La directrice met en place un accompagnement spécialisé de la situation incluant un audit, un coaching de la cheffe de service et un travail global sur la notion de respect et du système de recadrage/incitation. Un travail spécifique est mené pour contrer l’influence néfaste de la personnalité difficile qui finit par partir.
Parfois, la meilleure action d’un directeur d’établissement lorsqu’il rencontre ce type de situation est de faire appel à un expert extérieur avant que la situation ne « pourrisse ».
Point méthodologique
Le RH ou le manager doit avoir la formation et la compétence adéquate pour repérer avec pertinence ce type de situation, même s’il n’est pas psychologue au départ. L’idée n’est pas de pouvoir prendre en charge la personne mais d’être très conscient de ce qui se joue dans la situation. La difficulté repose dans la mesure. Un discours trop flou sur cette thématique peut ouvrir la voie à une psychologie de bon sens augmentant le risque de stigmatisation voire de victimisation. Un déni par une explication uniquement contextuelle contribue à tolérer des comportements toxiques, et ainsi bloquer toute possibilité d’évolution ; y compris pour la personnalité difficile.
Quelques bonnes pratiques pour éviter ce type de situation
Pour permettre à chacun de jouer son rôle, il est essentiel de mettre en place un certain nombre d’actions préventives :
· Former le management sur la gestion des personnalités difficile
· Identifier le rôle de chaque acteur impliqué dans la gestion de ce type de situation.
· Traiter rapidement et collectivement ce type de situation.
· Mettre en place un système d’alerte par des référents ou des capteurs. Des salariés volontaires, ayant pour rôle d’alerter et d’ouvrir le dialogue lors de conflits ou pour des personnes en difficulté
· Mettre en place un garde-fou dans le système de recrutement, en faisant appel à un psychologue clinicien pour valider un choix, lorsque la fonction RH se pose des questions sur un candidat.
· Clarifier la politique RH sur ce type de situation : ce qui est autorisé ; la ligne blanche.
· Se faire accompagner par un spécialiste lorsque le sujet semble compliqué.
· Mettre des limites à toute relation avec une personnalité difficile. Si cette limite est difficile à poser, mon conseil est de se faire accompagner par un professionnel de la psychologie.
Matthieu Poirot (www.midori-consulting.com)
Psychologue et Docteur en Gestion
Expert en psychologie des organisations
Dernier livre : Développez votre leadership positif (Vuibert)
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