Pour Heinz Leiman,
l’inventeur de ce concept, le mobbing se définit par « l’enchaînement, sur une assez longue période, de propos et
d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes
envers une tierce personne (la cible). Par extension, le terme s’applique aussi
aux relations entre les agresseurs et leur victime. »
L’objectif de ce type
d’agissement est d’exclure un membre du groupe, contre sa volonté. Il
correspond à une forme de conflit ayant débouché sur une mise en place de
comportements déviants et irrespectueux. Le mobbing vise la plupart du temps
une seule personne, jouant le rôle de bouc émissaire[1].
Le processus de mobbing fondé sur une dynamique de groupe, empêche les
persécuteurs de se percevoir comme tel. Comme on a pu l’observer dans le
célèbre film Le diner de con, chacun est
en mesure d’identifier le bouc émissaire d’un groupe auquel il n’appartient pas
mais reste inconscient de l’agressivité en jeu dans le groupe dont il fait
partie. La violence réprimée face aux autres, est ressentie comme normale
lorsqu’elle apparaît au sein de son propre groupe. En effet, la plupart des
persécuteurs ont le sentiment que leur agression est légitime parce qu’ils se
vivent eux même comme victime de la cible.
Ce mécanisme de bouc
émissaire occupe une place plus importante au sein des minorités, car, comme le
fait observer René Girard, toute majorité tient pour responsable la minorité
pour ce qui dysfonctionne dans un groupe. Le bouc émissaire menace la clarté
des frontières qui constituent l’intérieur et l’extérieur d’un groupe, et cette
dynamique agressive à son égard permet de resserrer les liens entre les membres
du groupe. La menace pousse à l’unité pour se défendre, ce qui permet de faire
disparaître l’illusion que chacun est différent et que la notion de groupe
n’est que transitoire.
Plus le groupe subit une
situation de tension avec une détérioration du climat social, plus il cherchera
activement un bouc émissaire lui permettant de gérer le stress auquel il doit
faire face. Un lien causal imaginaire se fait entre les difficultés du groupe
et la présence de la cible. Par exemple, dans une entreprise d’informatique,
une équipe de développeur est en difficulté avec son client. Rapidement l’un
des développeurs de l’équipe devient le bouc émissaire, ce qui permet à
celle-ci de se remettre au travail car elle devient capable de gérer son stress
par l’attaque de la cible.
Nous sommes donc en présence
d’une situation psychosociale que l’on peut qualifier en termes juridiques de
harcèlement moral.
Mon expérience me permet de
mettre en avant 5 situations susceptibles de se cumuler et d’entrainer
l’apparition d’un mobbing :
- La cible est effectivement difficile, car perfectionniste ou rigide dans son comportement.
- Le groupe subit une surcharge chronique de travail et décharge le stress sur la cible.
- Le groupe a des pratiques déviantes de travail et la cible les refuse.
- Le groupe est géré par une personnalité dangereuse utilisant le mobbing pour entretenir son emprise sur les membres.
- La cible est en minorité (âge, sexe, religion, origine ethnique, venant d’une autre entreprise…)
Souvent les directions des
ressources humaines sont alertées par la situation mais ont tendance à
stigmatiser la cible, car cette dernière commence à réagir maladroitement. Au
cours d’un entretien avec une DRH visant à mettre en place une démarche
qualité de vie au travail, cette dernière évoque une situation très
particulière. Une salariée s’était introduite dans les locaux la nuit et avait
saccagée le bureau de ses collègues avant qu’elle n’ait été retrouvée prostrée
dans la pièce. Les pompiers étaient venus la chercher pour l’amener à l’hôpital
psychiatrique. La DRH s’inquiétait de savoir cette salariée dangereuse, et
s’étonnait de n’avoir jamais entendu parler d’elle auparavant. La seule
information qu’elle disposait alors concernait la forte pression subie par
l’équipe au sujet des résultats à obtenir. L’enquête menée révéla que la
salariée mise en cause subissait un mobbing de des ses collègues depuis de nombreux
mois. Elle avait fini par faire une décompensation psychique. Son acte de
violence était une tentative d’exprimer sa rage contre les comportements
irrespectueux de ses collègues à son égard.
Le processus de mobbing se
déroule en 4 phases :
Phase 1 : La personne
est prise pour cible par le groupe qui débute les agissements par de petites
brimades psychologiques (surnom dévalorisant, blagues de mauvais goût sur son
odeur ou sa tenue vestimentaire, rumeurs etc…). Les comportements déviants du
groupe à l’égard de la cible sont cachés.
Phase 2 : Puisqu’il
n’existe pas de réactions de la part de l’entreprise, le groupe va de plus en
plus loin et peut matérialiser ses brimades psychologiques (dessins, post-it)
puis va commencer à devenir intimidant et/ou violent physiquement. Les
comportements déviants deviennent visibles.
Phase 3 : L’intimidation
se transforme en violence et le groupe cherche à exclure la personne par la
peur. Les réactions maladroites de la cible sont systématiquement utilisées
pour la stigmatiser et faire en sorte qu’elle soit perçue comme le bourreau. Les
comportements déviants sont revendiqués.
Phase 4 : La
personne-cible est exclue de l’entreprise par démission, licenciement, ou
troubles psychosociaux entrainant un arrêt de longue durée pour maladie
psychiatrique. Dans les cas extrêmes, cette situation peut conduire à une crise
suicidaire.
L’efficacité du mécanisme de
mobbing découle directement de l’incapacité du groupe à prendre conscience de
la gravité de ses actes. Le mobbing a d’autant plus de chance de survenir que
l’entreprise n’a pas clarifié les règles de fonctionnement sur le respect au
travail et n’a pas sensibilisé l’encadrement sur son obligation de prévenir les
comportements toxiques : conflit, manque de respect, violence,
intimidations, harcèlement…
Le laxisme sur les règles
comportementales du « vivre ensemble » empêche de fournir une ligne
rouge claire et nette, permettant de recadrer rapidement un mobbing lorsqu’il
se déclenche. Par ailleurs, et je le déplore, très peu de RH sont formés sur ce
qu’est le mobbing. Ils participent donc au processus de stigmatisation. Ce
processus peut même se propager aux délégués du personnel qui vont alors se
mettre du côté des persécuteurs. Il semble que les médecins du travail soient
souvent les seuls interlocuteurs sensibles à la souffrance de la cible et
peuvent alerter utilement l’entreprise. Encore faut-il que la direction veuille
bien les entendre.
Le mobbing a des effets très
profonds sur la santé psychologique de la cible. Certaines des personnes que
j’ai pu rencontrer, ayant été la cible d’un mobbing ont développé un stress
post traumatique les menant à une phobie du travail. Le stress post traumatique
est un état de choc profond qui chez la personne touchée, détruit la croyance
selon laquelle la croyance le monde peut être contrôlable. Il en découle pour
elle une grande insécurité et une crainte profonde de revivre une situation
identique sans pouvoir s’y adapter. Le mobbing suscite un traumatisme tel que
les personnes concernées développent des symptômes de traumatisme
psychique :
- Se remémorer régulièrement le traumatisme
- Faire des cauchemars en pensant de manière obsessive à l’évènement
- Adopter des comportements d’évitement (éviter le lieu où cela s’est produit, voir même le travail, pour ne pas revivre la situation)
- La culpabilité et l’anxiété deviennent les émotions dominantes
- Etre dans un état d’hypervigileance pouvant ressembler à de la méfiance
Il en résulte, comme l’avait
déjà démontré Heinz Leimann dans les années 80, une exclusion progressive du
marché du travail. Nous sommes en présence d’un phénomène d’exclusion sociale
par le groupe.
©Matthieu Poirot 2014
[1] Voir notamment les travaux de René
Girard.
Heing Leymann (1996), La persécution au travail, Seuil, Paris (p 27)
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