vendredi 15 septembre 2023

Le bien-être au travail augmente la performance : pourquoi les entreprises n'y arrivent-elles pas ?


Les différentes recherches indiquent que nous devenons plus performants lorsque nous ressentons du bien-être. Cela va à l’encontre de nos croyances suivant lesquelles il faut travailler dur, réussir et après seulement savourer la récompense du bien-être.  C’est tout le contraire ! Par exemple, lorsque l’on donne à des médecins un bonbon (augmentation légère de l’émotion de plaisir)[1] avant de faire un diagnostic, l’exactitude et la rapidité augmentent de 19% par rapport à un groupe contrôle neutre. Les vendeurs optimistes ont des performances commerciales supérieures de 56%.  Les étudiants qui doivent réaliser un test de math à qui l’on a induit des émotions positives dépassent très largement le groupe contrôle neutre. Une méta-analyse portant sur plus de 200 études et 275000 personnes a permis d’identifier qu’un bien-être positif conduit à une meilleure performance sur notre travail, notre santé, nos liens sociaux, notre créativité et notre énergie[2]. Notre cerveau semble fonctionner à son maximum d’efficacité lorsque nous vivons des émotions positives plutôt que négatives. 

VOIR : 



 

Etude de cas 

 

Il y a quelques temps, un client DRH m’expliquait que son ancien chef était particulièrement étonné et agacé par son équipe de commerciaux. Il expliqua ainsi à son DRH « mais enfin, avec toutes les critiques et les taquets que je leur mets pourquoi ne sont-ils pas plus performants ? » Le pire est qu’il se posait vraiment la question sous cette forme. Peut-être caricatural mais combien de managers et dirigeants pensent encore comme cela ? 



Si le bien être joue un rôle aussi fondamental dans la performance des entreprises, pourquoi celles-ci n'y font pas plus attention ? 

Il semble que les entreprises sont enfermées dans différentes problématiques :

1) cela nécessite du temps et des ressources et seules les plus riches peuvent investir dans ce domaine. Une étude de Schneider et Coll (2003) avait montré que ce sont les entreprises déjà performantes et riches qui investissent dans le bien être des salariés, ce qui en retour entretient la performance. 
Scheider, B.,Hanges, P.J., Smith, D.B. et Salvaggio, A.N.(2003), Wich comes first: employee attitudes or organizational financial and market performance ? Journal of Applied Psychology , 88(5), 836.
Résultat : plus un salarié travaille dans une entreprise en sous performance, moins il aura de chance que cette entreprise puisse mettre en place les actions et ressources nécessaires à son bien-être. 

2) les dirigeants sont enfermés dans le piège du pouvoir :

Plusieurs recherches montrent que le fait de flatter son chef a un impact très significatif sur sa carrière, mais en conséquence, ce dernier s'enferme dans son personnage, ne progresse plus et devient moins performant au niveau stratégique et managérial.[1] La règle est simple mais terrible : plus une personne atteint un haut statut social dans son organisation, plus les personnes de son entourage s’adapteront à ses travers comportementaux. Or plus une personne a du pouvoir, plus ses travers comportementaux vont devenir les normes dans le collectif de l’organisation : un manager fait faire , un dirigeant fait être. A cette place, son comportement indique de manière symbolique ce qui est autorisé ou pas dans l’entreprise. Il construit les règles relationnelles. Lorsque ce mécanisme se met en place le contexte relationnel peut devenir tout à fait malsain et surtout insécurisant : 

 

 1.    Le gonflement de l’Ego fait que seul le leader décide 

 2.   Les comportements dysfonctionnels du leader deviennent valorisés ou sélectionnés par l’exclusion de celles et ceux se comportant différemment 

    3.   Le leader n’a plus la capacité de faire évoluer la structure correctement et d’entendre les problématiques de terrain. Les difficultés ne remontent plus. Il est enfermé dans le positif.  

    4. même avec des ressources importantes, l'entreprise devient malsaine


3) l'échec du changement planifié : Une très vaste majorité des changements échoue, mobilisant pour rien des ressources énormes en temps, argent, engagement.  Pourquoi cette approche si insatisfaisante reste-t-elle dominante depuis si longtemps ? Elle permet sans doute aux leaders d’avoir l’illusion de contrôler le changement et d’en être les créateurs, donc les héros.  Dans cette perspective planifiée, le changement est intéressant s’il permet d’augmenter le prestige personnel du leader pour servir sa carrière personnelle. Elle permet de garder le pouvoir. 

 

La réalité, surtout au 21ème siècle, est que la complexité du monde est trop importante pour espérer une approche trop planifiée.  Il existe une multitude de causes aux problématiques, avec des ramifications interconnectées dans les organisations et qui empêchent de pouvoir faire de la résolution simple de problèmes complexes.  La réalité de terrain est basée sur des interactions multiples d’individus en interdépendance, et faisant face à une activité du travail changeante, volatile et incertaine.  La solution d’une transformation réussie au 21ème siècle repose dans la capacité d’une organisation à mobiliser l’intelligence collective à travers un espoir partagé et permettant de générer des solutions émergeantes, adaptées à un contexte mouvant. Ce contexte de transformation forcée a peu de chance de réussir à fournir les résultats désirés et peut entrainer une forte augmentation des risques psychosociaux, avec malheureusement parfois des drames comme un suicide ou un accident grave. 



4) l’instrumentalisation de crises sociales par les leaders implicites : 

leur pouvoir vient non d’un statut mais de leurs connaissance et manipulation des dettes psychologiques au travail. Ils soufflent sur les braises pour en tirer un gain personnel et font croire[1] que cela serait au nom de la collectivité. Comme l’a très bien mis à jour Luigi Zoja[2], la logique paranoïaque permet une rente de prestige en devenant le porteur des dettes psychologiques : « je deviens le héros luttant contre l’injustice du système ». La violence exercée devient légitime pour protéger la société. Mais pour atteindre cette rente, faut encore allumer le feu, par une inversion des faits : « je fais en sorte de mettre l’organisation en difficulté dans ce qu’elle souhaite mettre en place pour améliorer les choses, ce qui fait qu’elle tend à vouloir s’en prendre à moi, ce qui est bien la preuve d’un complot ».  Cette inversion de la réalité est en fait la capacité de dénier sa responsabilité pour ne se percevoir que de manière héroïque. Cette logique autorise ainsi l’agression sans culpabilité. Les leaders implicites ont un pouvoir d’influence important dans les contextes mélangeant leadership toxique et transformations mal accompagnées car cela entraine blessures et ressentiments.  Ils sont écoutés du fait d’avoir le sentiment inébranlable d’avoir raison : le mal part toujours des autres. Ces leaders d’influence sont en résonance avec les pensées paranoïaques collectives.  Ils servent dans le système relationnel à exprimer et amplifier les souffrances et c’est ce qui les nourrit et en fait leur super pouvoir. 




Pour aller plus loin : 




Matthieu Poirot (www.midori-consulting.com)
Psychologue et Docteur en Gestion
Expert en psychologie des organisations 
Dernier livre : Développez votre leadership positif (Vuibert)


[1] Et souvent se font croire. 

[2] Luigi Zoja, psychanalyste jungien et sociologue, Italien a écrit (2018) «  Paranoïa : la folie qui fait l’histoire », Paris : Les Belles Lettres. 



[1] Voir par exemple : Park, S. H., Westphal, J. D., et Stern, I. (2011), « Set up for a fall the insidious effects of flattery and opinion conformity toward corporate leaders. » Administrative Science Quarterly, vol 56 (2), p. 257-302.





[1] Le bonbon n’était pas mangé mais juste donné. Cela permet d’éliminer le fait que l’augmentation de sucre conduit à l’augmentation de performance. 

[2] Lyubomirsky, S. ; King, L et Diener, E. (2005), « The benefits of frequent positive affect : Does happiness lead to success ? », Psychological Bulletin, vol. 131, p. 803-855. 

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