Je considère l’estime de soi comme un processus évolutionniste, visant à permettre à l’individu d’identifier sa place dans un collectif. Pour cela, il devra répondre à deux questions :
· Suis-je utile ? C’est à dire, suis-je capable d’achever quelque chose de signifiant pour la société ?
· Suis-je désirable ? C’est-à-dire, les autres ont-ils envie d’être en relation avec moi ?
L’estime de soi a des conséquences sur notre santé et notre réussite. Ainsi une faible estime de soi peut conduire à de la dépression, un manque d’action et de réussite sociale notamment, car l’on manque d’affirmation de ses désirs et positions, mais également car cela entraine une faible persévérance dans les efforts. Une trop haute estime de soi peut être corrélée avec un fort niveau de narcissisme et de manipulation mais reste associée à un niveau élevé de bien-être. Nous avons donc besoin d’une estime de soi « saine », ni trop haute, ni trop basse. Ce type d’estime de soi est constamment corrélé avec la satisfaction de vie[1] et le bien-être mais également avec une capacité à gérer le stress et rebondir de manière résiliente au travail.
L’estime de soi permet :
· de s’engager avec détermination dans l’action, en gonflant le sentiment de pouvoir y arriver (confiance en soi) avec une issue positive (optimisme). Les personnes à faible estime de soi ont tendance à s’engager avec prudence, voire évitement dans l’action, ce qui les empêche d’atteindre ce qu’elles veulent atteindre. Par ailleurs, elles vont avoir tendance à créer des hypothèses auto-confirmatoires d’échec en se mettant en position de ne pas atteindre les résultats désirés. C’est le principe de la personne à basse estime de soi qui malgré son intelligence échoue à chaque examen.
· d’entretenir une image de soi positive et ainsi préserver le bien-être émotionnel. Confronté à un échec ou une difficulté, une personne à basse estime de soi aura tendance à s’attribuer cet échec et ruminer plus longtemps sur ses défauts (« c’est de ma faute, j’aurai dû faire comme cela, je n’y arriverai jamais ») ce qui en retour, entretient les émotions négatives. Au contraire, une personne à forte estime de soi aura tendance à attribuer les échecs à des causes extérieures (« le client était difficile) et à ne pas généraliser (« ça se passera bien la prochaine fois »). Il a même été montré que l’estime de soi prédisait notre capacité de résilience par exemple, parce que les personnes à faible estime de soi après avoir été mises en échec par expérimentation, utilisaient beaucoup moins des stratégies du type regarder une vidéo humoristique pour augmenter ses émotions positives, alors qu’elles estimaient par ailleurs que cela leur ferait du bien[2].
Pause réflexive
Comment évaluez-vous votre estime de soi actuelle ? Quel impact sur votre humeur et vos comportements en général ? En quoi votre style de communication vise-t-il à protéger et développer l’estime soi de vos collaborateurs ?
L’évaluation de notre estime de soi évolue en permanence en fonction de deux variables internes et externes :
· Les variables externes concernent le jugement d’autrui dans notre contexte social. Par exemple, le regard que porte des personnes significatives pour nous, va exercer une influence sur notre estime de soi. Cette influence peut être directe car la personne émet un jugement explicite (le manager qui dit « tu es mauvais sur cette tâche ») ou indirecte à travers l’intériorisation d’une norme sociale (je devrais être comme ceci ; les personnes vivant en banlieue sont violentes). Les jugements que l’on se fait sur une personne ou un groupe d’individus sont souvent des constructions sociales conduisant à des stéréotypes, des préjugés et des rôles sociaux. Par exemple, les femmes peuvent se conformer au stéréotype qui veut qu’elles ne soient pas fortes en sciences et ne sont pas faites pour être en position de leadership. Un autre préjugé serait que dans ce service/département on « sait » que ce sont les mauvais que l’on met là ; ou encore, un rôle social veut qu’un psychologue ne soit pas violent et qu’un policier ne soit pas trop sensible…
· Les variables internes concernent l’intériorisation d’un idéal, ce que l’on nomme l’idéal de soi. Ainsi l’évaluation que l’on se fait de soi-même repose-t-elle sur la comparaison entre nos résultats effectifs et ce que nous voudrions être. Lorsque j’échoue dans un domaine qui n’a pas de lien très important avec mon idéal, cet échec aura peu d’impact sur mon estime de soi. Au contraire lorsque j’échoue dans un domaine important pour moi, alors cette situation aura tendance à faire baisser globalement mon estime de moi. L’idéal que l’on intériorise se construit à travers le discours et les normes sociales valorisées dans un groupe social donné mais également par les valeurs portées par nos parents et/ou éducateurs de la petite enfance. Certaines personnes ont une faible estime de soi car elles se dévalorisent sans cesse du fait d’un idéal de soi irréaliste, ou parce qu’elles ont vécu un manque d’amour des leurs figures d’attachement (parents et/ou éducateurs). Ce déficit initial va souvent entrainer une estime de soi instable qui se traduira dans les comportements soit par un grand manque de confiance en soi, soit par la recherche continue de reconnaissance et d’attention.
Ce qui nourrit l’estime de soi
L’estime de soi est un « muscle » qu’il nous faut entretenir tout au long de la vie afin de nous protéger de la dépression et de l’anxiété. Il doit être protégé et développé dans différents contextes sociaux nous renvoyant sans cesse des évaluations.
Lorsque l’environnement social nous confronte à l’échec avec des retours basés sur des jugements définitifs, personnalisant et négatifs, ce contexte a de fortes chances d’avoir un impact très négatif sur notre estime de soi car nous allons intérioriser l’échec. Au contraire, lorsque nous avons une réussite, il est plus intéressant que l’environnement nous permette de l’intérioriser.
Par exemple :
| Intériorisation | Externalisation |
Échec | Tu es nul dans ce travail | Tu n’as pas eu assez de formation
|
Réussite | Tu as réussi grâce à tes efforts | C’était trop facile
|
Dans un contexte social où le manager juge que l’un de ses collaborateurs est « nul », celui-ci risque de se conformer en retour à cette représentation, ce qui aura une conséquence sur son bien-être et sa motivation ou ce qui l’obligera à se rebeller pour protéger son estime de soi. Il est très important dans notre communication d’utiliser un langage basé sur le contexte et l’observation fine plutôt que sur un jugement de valeur et pire, des stéréotypes.
La demande de productivité a tellement augmenté dans les entreprises que personne aujourd’hui n’a le sentiment d’en faire suffisamment, ce qui conduit à une fragilisation de l’estime de soi. Avec la pression, le monde du travail peut devenir moins respectueux, avec plus d’agressivité, ce qui là aussi peut nuire à notre estime de soi. Pour finir, l’augmentation de la précarité fait que l’on peut avoir du mal à se projeter avec sécurité dans un parcours d’entreprise. L’entreprise n’est plus forcément le pilier pour fortifier notre identité.
Le jeu de l’ami
A chaque fois que vous vous ressentez en échec, prenez une feuille de papier et écrivez ce que vous diriez comme ami pour vous soulager et vous aider à relativiser
L’un des enjeux fondamentaux du leadership est de développer l’estime de soi de ses collaborateurs. Pour se faire, il doit permettre à la personne de se sentir valorisée, d’intérioriser les réussites et d’externaliser les échecs. Le langage utilisé par le leader est un langage riche d’évaluation. Il détermine ce qui est bon, mauvais, fort, faible, performant, non performant, rapide, lent, intelligent, limité,.. car il doit évaluer la performance de son équipe. Ces jugements sont d’autant plus importants que le leader est bien souvent une personne de référence pour ses collaborateurs. Personne n’aime se sentir dévalorisé par son manager. Cela ne veut pas dire que le manager doit être laxiste et ne pas faire de retours sur le travail de ses collaborateurs. Au contraire, il doit le faire par respect pour leur travail et dans le cadre de leur développement. Il n’y a rien de pire qu’un manager qui baisse les bras ! Mais il s’agit de le faire avec bienveillance.
Etude de cas
Lorsque j’étais étudiant en dernière année de master en psychologie et gestion, j’étais également en parallèle professeur en BTS commercial. Les étudiants n’étaient pas toujours très motivés et beaucoup de mes collègues baissaient les bras. J’en ai même vu pleurer d'abattement. Ma position pédagogique fut d’être à la fois très souple et participatif dans le contenu du cours, mais très directif, voire « psychorigide » sur le cadre. On arrive à l’heure ou vous restez bloqué derrière la porte (y compris après la pause). On arrive habillé de manière professionnelle, en costume ou tailleur (ils étaient en alternance) ou vous êtes exclu pour la journée et je demande à l’employeur de retirer la journée sur le salaire. Je ne lâchais rien mais j’étais très porté sur le développement de chacun. Il n’y a rien de pire pour un élève que de se dire « je suis nul, la preuve mon professeur s’en fiche ». Je fus nommé professeur principal et nous avions un taux de réussite 30% supérieur aux autres classes. Je faisais aussi des cours particuliers pour des élèves en difficulté en faisant toujours attention de les mettre en position de victoire pour re-booster une estime de soi en berne. Les résultats étaient très bons, ce qui a fini de me convaincre de l’importance de l’exigence pour préserver l’estime de soi. L’exigence est aussi une marque de respect.
Faisons un petit jeu. Je vous propose d’aller sur internet et de regarder la vie de stars ou personnes en très forte réussite de votre âge. Puis de méditer sur votre vie et votre potentiel. Il y a fort à parier qu’une grande partie d’entre vous se sentira dévalorisée et que notre estime de soi aura tendance à baisser, même de manière inconsciente.
Plus notre environnement social nous propose comme normes sociales des standards impossibles à atteindre, plus notre estime de soi est mise à risque.
[1] Diener, E. et Diener, M. (1995). « Cross-cultural correlates of life satisfaction and self-esteem », Journal of Personality and Social Psychology, vol 68, p.653-663.
[2] Heimpel, S et coll (2002), « Do people withe low self-esteem really want to feel better ? Self-esteem differences in motivation to repair negative mood » Journal of Personality and Social Psychology, vol. 82, p.128-147.
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