mercredi 9 septembre 2020

Plan de Sauvegarde de l'Emploi : l'importance cruciale d'une approche systémique pour prévenir les traumatismes organisationnels


Un PSE est un choc dans un collectif d’entreprise ; son manque d’accompagnement respectueux en fait un traumatisme dans la durée qui pourra engendrer un véritable fantôme organisationnel. 

 

Fantôme systémique : lorsque le passé n’a pas pu être célébré et le chagrin exprimé, la charge émotionnelle négative continue d’être là et structure inconsciemment la dynamique présente du groupe (focalisation sur le passé et sur la liquidation de la dette) qui ne peut se projeter sur le futur avec une approche positive et orientée solution.

 

Les conséquences en seront un climat relationnel dégradé, des soubresauts réguliers que personne ne comprendra, des actes manqués, du sabotage. Tous ces symptômes seront un message que l’histoire n’a pas été traitée avec considération dans le système relationnel de l’organisation.  Mais comment favoriser du respect lors d’une situation aussi douloureuse et injuste ? On ne peut quitter l’histoire que l’on a eu avec un système relationnel ; celle-ci reste à travers les traces mnésiques dans son corps, et surtout la narration que l’on s’en fait ;  même si cette dernière va être actualisée dans la présent et donc également dans la manière dont nous rêvons notre futur.

 

Nous nous appuyons dans notre analyse sur l’intervention contextuelle intégrative. 

 

Le premier principe est que l’être humain cherche à calmer ses angoisses existentielles par une certaine sécurité ontologique dans la société. Il cherche à ressentir qu’il est utile et désirable dans les différents contextes relationnels que constitue son réseau de vie.

 

Celui du travail est d’autant plus important aujourd’hui que les autres institutions sont souvent plus précaires et moins investies (la famille, les religions,..).  A travers un engagement reconnu et apprécié par l’entourage professionnel, une personne trouve un sens permettant de lutter contre l’angoisse.   


Cette sécurité/insécurité ontologique de base est souvent très en lien avec l’histoire familiale (l’amour inconditionnel que l’on estime avoir reçu) mais également avec le statut social (sa place et ses conséquences psychosociales sur l’estime de soi).   Dans un monde bipolarisé où un sentiment de déclassement relatif entraine une fracturation entre la classe sociale mondialisée (Globalia) et celle localisée (Localia), les prochains PSE vont exacerber l’insécurité ontologique de base. 

 

Par ailleurs, la modernité entraine un sur-engagement au travail; une demande d’intensité dans l’immédiat. Le corolaire en est un besoin plus important de reconnaissance et de réassurance identitaire.  

 

 -> Mon engagement doit me permettre de me sentir utile et désirable

 -> sa reconnaissance par l’entourage professionnel lui permet 

de s’incarner et ainsi de m’inscrire dans la marche du monde.  

-> ma vie a un sens 

-> pour exister, je dois m’engager

 

Dans un monde hypermoderne, survalorisant l’individualisme, l’organisation peut favoriser le sur-engagement car elle favorise l’illusion groupale dont les personnes ont besoin pour calmer l’insécurité ontologique.


Voir : 




D’un point de vue psychologique, pour que des salariés se représentent comme faisant partie d’un groupe, ceux-ci doivent s’appuyer sur un imaginaire inconscient d’un collectif constitué pour protéger tout un chacun. Cet imaginaire repose sur l’illusion que chaque membre malgré ses différences, est accepté à sa juste valeur. Ce phénomène psychique a pour fonction de faire face aux difficultés du travail et aux angoisses existentielles, notamment celle d’être seul. 

 

Plus l’insécurité ontolgique est importante plus l’inconscient collectif est à la recherche de bouc émissaires afin de rassurer chacun (s’il est exclue, je suis inclue) et décharger la colère, voire la rage. Même en l’absence de violence physique, un collectif de travail peut tomber dans une véritable dynamique paranoïaque de groupe. 

 

Dynamique paranoïaque de groupe : tendance d’un collectif à chercher un bouc émissaire afin de réguler les dettes psychologiques de ses membres et ainsi d’assurer la cohésion de groupe à travers l’illusion d’égalité.  Cette dynamique peut être manipulée par un « leader implicite » cherchant à l’utiliser pour être perçu comme sauveur et ainsi se légitimer comme chef du groupe. 

 

Si par ailleurs, ce mouvement collectif est entravé (pas de mouvement collectif, manque d’expressivité), la psychosomatisation du manque de reconnaissance entraine également des conséquences sur le corps, voire un risque suicidaire.


Cette dimension affective du groupe engendre des dynamiques relationnelles complexes de rejet-intégration, dont un leader implicite peut s’emparer. Régulièrement, afin de resserrer les rangs, un bouc émissaire va être désigné. Il permet de mettre en avant les limites de ce qui constitue le groupe. Il y a « nous » et « lui » ou « eux ». Même si le bouc émissaire est un membre de l’organisation, la menace dont il serait porteur unit les autres dans une position de victimisation qui ressert les rangs du groupe.  Ce phénomène est d’autant plus puissant que le groupe se représente lui-même comme victime du bouc émissaire, perçu comme coupable ; ce qui en justifie l’exclusion.

 

Dans ce contexte, les managers de proximité sont mis dans une position délicate : ils comprennent les directions et acceptent parfois l’utilité de la décision. Ils doivent leur statut à l’entreprise et donc aux cadres dirigeants (dette de loyauté) mais comprennent également le vécu des employés car ils ont souvent commencé à la base comme expert. 

 

Dette de loyauté :ressenti de devoir à l’autre (une personne, un groupe, une entité) une forme de préférence relationnelle afin de lui payer symboliquement ses dettes. Cette loyauté s’appuie sur une triangulation excluante : la personne loyale, la cible de la loyauté, celles ou ceux exclus de cette loyauté. Les loyautés permettent de définir qui fait partie ou non d’un groupe. 

 

Ils sont à la fois cadre, donc responsable de l’efficacité de l’entreprise mais aussi employés. Ils se savent en position de pouvoir soutenir les équipes mais aussi de devenir facilement le bouc émissaire s’ils se montrent trop loyaux vis-à-vis de la direction. Ils vivent un véritable conflit de loyauté. 

 

Conflit de loyauté :lorsqu’une personne ou un groupe doit faire face à 2 dettes de loyauté visant des autres (une personne, un groupe, une entité) explicitement en conflit. Cette situation peut entrainer une tension psychologique forte bloquant la personne dans l’action ou l’obligeant à devenir elle même le problème en devenant le problématique désigné 

 

Les managers vont alors régler ce paradoxe en l’intériorisant et en produisant de l’échec : 


·     Maladie psychosomatique empêchant de travailler, burnout

·     Evitement ou agressivité vis à vis de son équipe 

·     Démission réelle ou intérieure

·     

Par loyauté à chacun, le management de proximité se sacrifie et devient progressivement le problème. Il est celui qui empêche la transition mais également celui qui exprime la crise.

 

Un système relationnel diminue fortement cette insécurité ontologique de base lorsqu’il respecte 3 principes : le temps, la place, la justice. 

 

·     Pouvoir dire son histoire dans ce qu’elle a de positif ou négatif, sans jugement ; construire du sens sur le présent et ainsi se projeter sur le futur


·     Que chacun puisse trouver une place claire et s’appuyant sur les ressources de la personne, sans discrimination ni rejet


·     Que les mérites de la personne soient reconnus et appréciés que ce soit au niveau symbolique (espace social), sur la carrière (expertise, statut) et d’un point de vue financier

Dans le contexte d’un PSE, il est essentiel de travailler sur une approche dialogique et symbolique :

 

·     Que l’histoire du collectif puisse être dite, incluant les mérites des personnes, mais également une co-construction du sens ;  c’est à travers la mise en intersubjectivité du temps que la personne pourra prendre le risque  de voyager, de se projeter vers l’avenir et ainsi de ne pas revenir en boucle sur le passé


·     Que les managers puissent travailler sur la place symbolique qu’ils occupent et les conflits de loyauté que la situation entraine et qui peuvent entraver son action bienveillante vis-à-vis du collectif


·     La justice de l’échange, du dialogue et de la parole, pouvoir débattre de ce qui est juste/injuste dans la situation. Permettre d’avoir voix au chapitre, que la souffrance puisse également être reconnue symboliquement mais également d’un point de vue de la carrière (par exemple par l’outplacement) et sur un niveau financier (compensation, indemnisation)

L’espace de parole doit permettre de légitimer la plainte de chacun sans pour autant favoriser un mécanisme de victimisation mortifère.  Le dialogue et la symbolisation sont les éléments psychosociaux essentiels pour permettre à un collectif de pouvoir surmonter le drame du PSE et pour les personnes de conserver un minimum de dignité.


L'intervenant est un tiers créant un espace sécurisant permettant ce travail d'élaboration si essentiel pour la résilience des personnes et de l'organisation. 


À bientôt 

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Matthieu Poirot

Expert en Qualité de Vie au Travail

Psychologue et Docteur en gestion

Dirigeant de Midori Consulting

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