Nombreuses sont
les fusions acquisitions qui se soldent par de véritables échecs financiers. Observateurs et experts attribuent ces échecs
à diverses raisons : les mauvais partenaires, un mauvais prix d’acquisition,
une erreur de timing, les deux
entreprises sont intégrées trop rapidement ou trop lentement….Toutes ces explications
restent valables mais il en existe une bien plus centrale – les émotions négatives
générées par un mauvais accompagnement du changement chez les collaborateurs et
managers. Les émotions les plus
fréquemment observées sont la peur, la frustration, la colère.
La peur est provoquée par l’incertitude et le
changement, c’est à dire la perception d’une importante perte de contrôle d’une
personne sur son travail, et par
conséquent, sur une part importante de sa vie.
Cette émotion reste très vive en phase d’annonce de la
fusion-acquisition (phase amont), lorsque les informations sont encore éparses
mais le risque de changement très réel. Les tentatives de compréhension, d’analyse,
la recherche d’informations sont autant de démarches de la part des
collaborateurs qui monopolisent toute
leur énergie, conduisant dès lors à une forte paralysie de l’entreprise au
profit d’une production accélérée de
rumeurs. Chacun ne se concentre plus
qu’à œuvrer à se protéger : les meilleurs talents remettent à jours leurs
CV, les délégués syndicaux se font courtisés et ceux dont l’employabilité reste
moyenne se voient tracer le moindre faux
pas managérial. Sur une période moyenne
d’observation allant de 3 à 9 mois il m’est apparu que la performance
opérationnelle et financière décline de plus en plus régulièrement.
La frustration apparaît lorsque la
fusion-acquisition est effective. Les plans de départ volontaires se mettent en
place, ciblant les personnes les plus employables. Les salariés en fin de
carrière, souvent avec une forte ancienneté et loyauté vis-à-vis de
l’organisation, espèrent pouvoir partir avec un chèque, leur souhait étant bien
évidemment rarement honoré. Il en
résulte un sentiment d’injustice particulièrement si cette population observe
certains de leurs collègues partir avec une somme importante et retrouver
rapidement du travail. Notre expérience
nous montre clairement qu’il ne s’agit pas là d’une situation inhabituelle,
particulièrement en région parisienne.
La colère devient une émotion commune, lorsque
les salariés qui restent perçoivent une certaine forme de mépris pour leur
travail et leurs efforts d’adaptation.
Les plus anciens et loyaux ont contribués à la construction des règles
et routines du travail. Il est cependant fréquent que la fusion-acquisition
entraine des changements organisationnels profonds accroissant le risque sur la
période succédant la fusion, d’un discours de
« table rase » ou de « gagnant-perdant ». Par ailleurs
ceux qui restent n’ont pas forcément
obtenu de récompense financière en lien avec leurs efforts d’adaptation
d’autant plus que ce sont eux qui
doivent gérer les dysfonctionnements organisationnels générés : double
charge de travail + rémunération identique = forte dette psychologique de
reconnaissance. Le sentiment d’injustice
et la colère peuvent alors les pousser à limiter leur contribution, baisser
leur productivité, voire se transformer en opposant du changement ou en
saboteur. En contre-réaction, la nouvelle direction peut se durcir et tenter le
passage en force, alors même que le management de proximité est lui-même
potentiellement démotivé et en colère de voir les dégâts générés.
Toute cette
charge émotionnelle provoque un impact humain et organisationnel exceptionnel
si l’accompagnement du changement est absent ou mal fait :
- Augmentation de l’absentéisme et du présentéisme
- Problème de sommeil, baisse des défenses immunitaires, troubles anxio-dépressifs
- Augmentation de la résistance au changement et des dynamiques collectives paranoïaques
- Perte des talents critiques
- Augmentation de la conflictualité
- Perte de qualité dans les produits et services
- Perte d’acquisition et rétention des clients
- Désalignement des dirigeants vis à vis des priorités stratégiques
- Perte de loyauté des salariés
- Augmentation du risque de mouvement social
Mes
interventions ont porté sur les 3 phases : avant, pendant, après. Ce qui
m’a surpris est la force pour limiter ces effets de la mise en place de bonnes
pratiques d’accompagnement du changement. Ce qui m’a également marqué est
l’influence profonde des mauvaises pratiques sur la survie réelle d’une fusion-acquisition.
Quelles peuvent-être les bonnes pratiques ?
En amont :
La meilleure
stratégie pour limiter la peur est d’augmenter l’empathie. L’équipe managériale
devra se mobiliser pour aller au contact du terrain, écouter. Il est également
important de pouvoir exprimer une vision sur le pourquoi et surtout sur le pourquoi
maintenant. Quels en sont les gains espérés ? Il est également important
de fournir aux salariés, surtout aux managers de proximité les informations
nécessaires sur l’environnement économique est les besoins/défis de
l’entreprise. Bien entendu, l’expérience
montre que la pratique « d’occuper
le terrain » est compliquée pour les dirigeants car ils sont accaparés par
les dossiers juridiques et financiers, par leur propre gestion du stress et par
leurs agendas personnels. Par ailleurs,
si les membres de l’équipe de direction dont le/la DRH ne sont pas familiers à
ce type de situation, il demeure fondamental de les former. De manière générale,
tout grand changement, nécessite de prévoir
un plan de communication détaillé puis de réaliser une matrice des risques A
cela doit s’ajouter la mise en place d’une cellule de crise et d’une équipe
projet. Enfin, prévoir un dispositif RH
de fidélisation des compétences critiques.
Pendant :
Au cours de
cette phase, l’entreprise doit mettre en place simultanément les bonnes pratiques suivantes : la mise en
place d’un soutien psychologique afin d’accompagner les personnes en
difficulté ; la mise en place d’une étude d’impact humain afin d’identifier
les éventuels risques psychosociaux ; la mise en place d’un blog/site
interne permettant de fournir en temps réel les informations et ainsi faire
remonter les grandes interrogations des salariés, l’accompagnement du dialogue
social (ex : médiation sociale)
lorsque la situation se tend, le coaching des managers de proximité pour les
aider à jouer leur rôle d’accompagnement du changement, un diagnostic culturel
pour informer l’équipe de direction des différences profondes (ex :
rapport au pouvoir, rapport au temps,…) pouvant bloquer l’intégration. Prévoir également des temps de rencontre entre
les différentes personnes des 2 entités, même si tous les cas de
« doublon » ne sont pas encore réglés. Un point important est de bien soigner la
sortie des personnes (ex : autoriser même si cela à un coût-temps les pots
de départ), afin de démontrer publiquement l’éthique de l’entreprise et ainsi
créer les bases de la confiance dans la nouvelle entité. Introduire dans la
communication interne l’ensemble des « succès » obtenus par chacune
des entités au cours de son histoire.
Après :
Il est très
important de permettre aux salariés de pouvoir échanger et s’exprimer.
Cette phase de « cicatrisation » doit remobiliser les
collectifs vers le présent, le futur et surtout vers un ressenti émotionnel
plus positif. Il peut être intéressant
d’organiser des groupes d’expression permettant aux salariés de « ventiler »
leurs émotions. L’idée est que les salariés puissent, avec l’aide d’un
facilitateur, formaliser le vécu du changement, les besoins actuels et les
espoirs pour le futur. En fin de session, les dirigeants viennent échanger avec
le groupe et répondre à leurs questions.
En parallèle, il est utile d’organiser un coaching collectif
pour l’équipe de direction (se constituer en équipe, comment accompagner
la transformation culturelle,…) ainsi
que pour les équipes « critiques » (ex : l’informatique ou la
fonction commerciale). Une autre bonne pratique consiste à établir plusieurs
groupes transversaux qui s’emploieraient à résoudre les problèmes
organisationnels et relancer l’innovation. Une alliance des méthodes Appreciative
Inquiry et de Work-Out peuvent être très puissantes. Pour finir, il convient
d’identifier avec la fonction RH des incitations permettant de récompenser les
efforts et la remobilisation ainsi que la meilleure politique de gestion des
talents (recrutement, fidélisation).
Les freins les
plus pénalisants à la mise en place de ce type de pratique sont les suivants :
- Le manque de conscience par les dirigeants de l’importance de l’accompagnement du changement
- L’impatience, l’arrogance ou un optimisme exagéré du nouveau PDG
- Le manque de temps et la surcharge des décideurs, surtout s’ils ne savent pas déléguer ou ne peuvent le faire car leur premier cercle (inner circle) n’est pas à la hauteur
- Le manque d’argent ou l’impression de « faire des économies »
- Le manque de confiance dans l’accompagnement par des consultants car les expériences passées ont été mauvaises
- Le manque d’envie car l’humain n’est pas considéré comme stratégique…
- La panique des dirigeants qui ne parviennent plus à structurer une méthode claire
- La mésentente au sein du binôme des dirigeants devant accompagner la fusion-acquisition
- La rivalité au sein des équipes de direction, ce qui entraine un blocage des décisions
- Le manque d’expérience, de courage ou d’influence des RH pour pousser aux bonnes pratiques
- Le manque de compétences internes pour accompagner le changement
- Un dialogue social conflictuel avec des syndicats « jusqu’au-boutistes »
Etude de cas
Je suis mandaté, en urgence, pour accompagner une crise psychosociale
provoquée par la fusion acquisition de deux entreprises informatiques.
L’entreprise américaine rachète une rivale française. Cette fusion est
accompagnée d’un plan de réduction des effectifs en France et aux États-Unis,
afin d’augmenter la synergie entre les deux entreprises. Le management de
l’entreprise française devient américain, avec un directeur général ayant des
demandes personnelles jugées inconsidérées dans le contexte français :
achat d’une voiture de fonction 4x4 de luxe, location d’un appartement de
fonction en plein Paris, de 300m2 ; faire venir son cheval personnel des
États-Unis. Les salariés apprennent progressivement ces comportements et sont
démotivés. Beaucoup essaient de profiter du plan de réduction pour négocier un
départ volontaire. Cependant l’entreprise souhaite conserver les éléments clefs
et refuse de négocier avec un grand nombre de demandeurs, alors que les moins
employables se voient signifier la proposition de départ. Dans ce contexte, le
CE, traditionnellement constructif, se radicalise et demande une expertise à un
cabinet, pour stopper le « plan de
la direction ». Par ailleurs, les résultats financiers se dégradent et
la médecine du travail alerte sur le fait que plusieurs managers de proximités
sont à la limite de l’épuisement professionnel. Les salariés d’une même équipe
portent plainte pour harcèlement de la part de leur manager. Le DRH se dit
qu’il va falloir agir mais le directeur général ne veut rien entendre.
Après avoir rencontré le DRH, acteur d’influence en interne, puis les
syndicats, nous arrivons à obtenir un rendez-vous avec le directeur général
américain, afin de lui faire part de la situation et de l’alerter sur l’importance
de retrouver un comportement plus exemplaire dans un contexte français. En
parallèle, une série de réunions informelles sont organisées, avec des petits
groupes de salariés. L’objectif vise à les faire échanger avec le DRH et les
délégués du personnel sur leurs difficultés et attentes. Cette stratégie permet
d’apaiser suffisamment les tensions pour remettre la dynamique collective dans
la recherche de solutions. Sont conduits en parallèle des entretiens sur la
situation potentielle de harcèlement. A mesure que se déroulent les premiers
entretiens, il m’apparaît clairement que le manager dit harceleur est en fait
un bouc émissaire permettant de gérer la pression de l’équipe la plus
négativement impactée par la fusion.
Profitant de l’accalmie dans la crise, nous mettons en place un séminaire
avec le comité de direction, dans l’objectif de le faire travailler sur les
solutions aux problématiques actuelles. Au cours de ce séminaire, sont soulevés
de nombreux problèmes organisationnels encore sans solutions. Se décide alors
la création d’un comité opérationnel chargé de finaliser la fusion au niveau
organisationnel. Ce comité pluridisciplinaire se compose de salariés
volontaires, au plus proche du terrain, afin d’éviter le décalage des
procédures avec la réalité du travail. Se décide également de se saisir de la
fusion comme une opportunité pour ouvrir un pont entre les États-Unis et la
France pour améliorer la gestion de carrière : les français pourront
postuler sur des postes américains et inversement. Ces deux initiatives sont
très bien accueillies par les salariés. En parallèle, nous mettons en place un
système de coaching par téléphone, permettant aux managers de pouvoir
bénéficier de trois séances chacun, pour l’accompagnement du changement ou pour
toute problématique managériale sur laquelle ils souhaitent échanger avec le
coach. Une enquête sur le vécu du changement est mise en place, portée par le
CHSCT et la direction des ressources humaines. L’inspection du travail et le
médecin du travail sont conviés, en séances de CHSCT, aux différentes étapes de
cette enquête.
Je mets également en place une réunion de bilan avec la direction générale
de l’entreprise, ainsi qu’avec le CHSCT et le médecin du travail. Une réunion
de travail se déroule entre le directeur des ressources humaines et
l’inspection du travail, afin de demander à ce dernier, quelles sont ses
recommandations face au contexte. Un reportage est écrit pour le journal
interne, avec des articles sur les personnes parties aux États-Unis. Le dirigeant
américain met en place un système de management local en promouvant le
directeurs des ressources humaines, directeur pour la France. Une grande fête
est organisée avec l’ensemble des salariés pour fêter la nouvelle entité. Les
résultats de l’enquête sont donnés à l’ensemble des salariés par le biais de
communications écrites et orales. Une boite à idée est installée. Les résultats
de l’enquête sont introduits dans le document unique d’évaluation des risques
(DUER[1]).
Un comité qualité de vie au travail, paritaire (RH, SST, CHSCT) est mis en
place de manière pérenne.
Matthieu Poirot
Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel
Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development
©Matthieu Poirot,2007-2016.
[1] Le
document unique a été créé par le décret n°2001-1016 du 5 novembre 2001. C’est
est un outil permettant d’engager une démarche de prévention par l’évaluation
des risques. Il est revu au minimum
chaque année et à chaque fois qu’une unité de travail a été modifiée. Il doit
également être revu après un accident du travail.
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