L’une de
polémique récurrente est l’existence ou non d’une réelle influence des
dirigeants sur l’entreprise. Certains experts indiquent que la performance
d’une organisation est largement déterminée par les politiques économiques et
les changements technologiques.
Un autre argument est que l’influence d’un
dirigeant est largement diluée par les contraintes internes, comme les coalitions
politiques ou les jeux d’acteurs. En fait l’influence des dirigeants serait
sur-évaluées par un processus de mise en avant exagéré des réussites et une
externalisation des échecs.
Ces arguments
peuvent être pertinents, cependant la réalité observée indique que les
dirigeants ont une influence certaine sur la performance des
organisations. Les 3 niveaux
d’influence fondamentale sont les suivant :
- Définir les décisions stratégiques permettant d’adapter l’entreprise à son environnement : les dirigeants ont la responsabilité de comprendre l’environnement pour prendre les bonnes décisions permettant de conserver la compétitivité de l’entreprise. Ils doivent évaluer ce que doit proposer l’entreprise comme produits et services pour satisfaire ses clients potentiels (ex : le prix ; la qualité, le service aux clients, l’innovation,…) et la manière d’y arriver (ex : production, investissement, type de marketing,…).
- Modifier l’organisation du travail : les dirigeants doivent enclencher des changements incrémentaux (améliorer l’existant) ou de rupture (ex : le Cloud) qui visent à répondre à la stratégie décidée.
- Développer et motiver l’encadrement : chaque changement va nécessiter un accompagnement par les managers de proximité afin qu’ils facilitent la mise en place effective de l’organisation du travail et qu’ils conservent un haut niveau de motivation et de bien-être des collaborateurs.
Les dirigeants
se mettant en position de leadership stratégique doivent s’adapter à des
objectifs pouvant être paradoxaux. Il est par exemple nécessaire de pouvoir
améliorer l’existant tout en commençant à développer les innovations visant à
renouveler les clients. Chaque
changement va entrainer d’autres changements : améliorer l’organisation du
travail va par exemple nécessiter de développer des nouvelles compétences et de
nouvelles gestions des carrières et des emplois.
Les différents
besoins de leadership stratégique :
Entre 2006 et 2014, 38 des 100 plus importantes entreprises
américains ne sont plus dans la liste Top 100…
- La saturation du marché
- Le déclin de la demande pour le produit ou service
- L’apparition de nouveaux concurrents compétitifs et agressifs
- Un changement technologique majeur
- Un tarissement des ressources nécessaires pour le produit ou le service
- L’apparition de nouvelles contraintes normatives par les pouvoirs publics
- La substitution du produit ou du service
- …
L’enjeu
principal du leadership stratégique est de faire conserver à l’entreprise son
avantage compétitif :
Avoir le
meilleur rapport qualité/prix
Développer une
position d’innovateur premium
Développer une
marque forte et socialement attractive
Avoir un
savoir-faire inimitable
…
L’entreprise
est un équilibre entre besoin de changement et stabilité. Un déclin de la
performance peut entrainer une nécessité rapide de réorientation stratégique
qui obligera à de nombreux changements durant un période intense, souvent
relativement courte (6 à 12 mois).
Cette période
entrainera des tensions et turbulences au sein des ressources humaines, pouvant
être limitées par un fort accompagnement du changement. Cette période sera suivie par celle de la
convergence avec une solidification des changements au niveau des processus de
travail, de la structure de pouvoir et de la culture d’entreprise. Les
évolutions ne concerneront que des améliorations incrémentales.
L’un des
risques majeur pour l’entreprise est de se reposer une situation de monopole en
ayant le sentiment que l’environnement ne changera pas. Cette situation peut
entrainer une perte progressive de compétitivité que le leader stratégique doit
prévenir.
Les questions
clefs pour suivre les besoins de l’environnement économique :
- Sur quel type de marché souhaitons-nous aller ?
- Quels sont les besoins et désirs des clients et consommateurs ?
- En quoi répondons-nous à ces besoins et désirs ? Avec quels avantages compétitifs ? En quoi notre système d’information permet-il de le savoir efficacement ?
- Qui sont nos compétiteurs ? Quels sont leurs avantages compétitifs ?
- Quels sont les changements qui peuvent affecter nos marchés dans les 2 à 5 prochaines années (technologie, démographie, géopolitique, normes,…) ? A quel degré y sommes-nous préparés ?
Les points
principaux de la formulation stratégique :
- Déterminer des objectifs de moyens-long termes et des priorités
- Evaluer les forces et faiblesses de l’entreprise
- Identifier les compétences clefs
- Evaluer les besoins de changement majeurs
- Evaluer les opportunités émergeantes
- Impliquer les dirigeants dans la formulation stratégique
- Déterminer la tactique d’implémentation
Leadership stratégique, pouvoir et jeux politiques
Dans le cadre
de l’implémentation d’une stratégie, il est prioritaire de coordonner dans les
grandes et moyennes entreprises les différentes unités de travail. Cette coordination va nécessiter une
communication, habituellement informelle, permettant d’impliquer et de motiver
les managers de proximité. Une rupture
entre les dirigeants et le management de direction peut littéralement empêcher
l’implémentation effective d’une stratégie.
Une des
questions les plus importante dans l’accompagnement du changement : quel
est mon intérêt à changer ? Quel est l’intérêt des managers de proximité à
accompagner le changement ?
Si la
résistance est là, il existe 3 hypothèses de travail :
- Les managers ne sont pas motivés par le changement
- Les managers ne savent pas comment faire
- Les managers sont motivés et compétents mais sont empêchés par l’environnement, spécialement par les règles organisationnelles et/ou le comportement des dirigeants
Il est très
important pour les dirigeants de clarifier comment ils ou elles souhaitent et
peuvent influencer positivement leurs managers de proximité et les soutenir.
La capacité des
dirigeants à accompagner le changement repose également sur les jeux de pouvoir
et d’influence des acteurs internes et externes de l’entreprise. Les
personnes ayant le plus de pouvoir lors d’une période de réorientation
stratégique sont celles dont l’expertise est nécessaire pour l’atteinte de la
stratégie. Les opposants sont constitués des perdants du changement (au
moins dans leur perception).
La manière dont
les personnes augmentent leur pouvoir au sein de l’entreprise s’appelle l’institutionnalisation. La coalition dominante tentera par des jeux
politiques de maintenir son pouvoir même lorsque son expertise n’est plus aussi
critique pour l’entreprise. L’ambiguïté sur l’environnement de l’entreprise et
sur les besoins réels de changement peuvent fournir l’opportunité à certains
dirigeants de maintenir leur poste même si leur expertise ne le justifie
plus. Le contrôle sur l’information peut
permettre à certaines équipes de direction de cacher le niveau réel de leur
performance. Le pouvoir sur les
carrières et les revenus peuvent également permettre de s’allier les potentiels
rivaux, de les maintenir dans le silence ou de les faire expulser.
Le pouvoir d’un
PDG :
- La force du soutien par les instances de gouvernance (directoire-conseil d’administration-conseil de surveillance)
- Le charisme personnel et l’histoire que le dirigeant tisse autours de ses réussites (storytelling)
- La possession d’informations stratégiques
- La possibilité de discriminer les rémunérations variables et les évolutions de poste des membres de l’équipe de direction
- Sa légitimé technique par rapport aux besoins de l’organisation, notamment sur la formulation stratégique
- La coercition
- Son image auprès des collaborateurs, particulièrement auprès des managers de proximité
Plus un DG ou
PDG reste en poste plus de ce processus d’institutionnalisation
peut se mettre en place, même inconsciemment. Ainsi la performance des tops
dirigeants obéit à un cycle de vie qui peut durer maximum 5 à 7 ans dans les
entreprises. En entrée dans
l’entreprise, les premiers comportements sont fortement influencés par le
mandat reçu par le dirigeant. Cette période est également caractérisée par une
forte recherche d’information pour comprendre les besoins, problèmes et
opportunités que vit l’entreprise, mais également les alliés potentiels,
spectateurs, rivaux et opposants. Un PDG tente aussi d’évaluer les effets de
ses premiers changements avant d’en impulser d’autres. Lorsque l’ancrage est
suffisant, le dirigeant peut alors mettre en place une nouvelle stratégie.
Quelles sont
les compétences les plus importantes pour un leadership stratégique
effectif ?
- Aider à interpréter les signaux faibles
- Engager autours d’objectifs stratégiques communs
- Créer de la confiance et de la collaboration
- Donner de l’espoir
- Obtenir les ressources et le soutien nécessaires à l’implémentation stratégique
- Responsabiliser
- Promouvoir le respect et l’intégrité
- Faciliter l’apprentissage
- Renforcer l’identité collective
Pour terminer,
quelques suggestions pour améliorer son leadership stratégique. Voici les 8 leçons
les plus importantes identifiées lors de nos différents accompagnements :
- Toujours construire plusieurs scénarios et alternatives : l’environnement est suffisamment imprévisible et volatil pour qu’un PDG sache prudemment construire plusieurs réponses possibles. Il est parfois indispensable d’envisager des solutions radicales aux obstacles. Peut-on envisager une réponse alternative en situation de crise ? Oui, mais avec difficulté. Peut-on pousser plus loin les résultats ? Oui, lorsque l’on ne borde pas la réalité à une seule carte. En psychologie de la motivation, fixer un résultat peut conduire à donner implicitement une autorisation de s’arrêter.
- Identifier son objectif n°1 : l’un des pièges pour un PDG est qu’il est sur sollicité par les autres dans des projets. Il a donc tendance à se disperser ou à vouloir répondre à trop d’objectifs à la fois. Comme son comportement indique la norme, les autres dirigeants vont faire de même et leurs collaborateurs également. Le comportement du PDG risque ainsi de diluer l’énergie de l’entreprise sur une multitude d’objectifs pouvant être contradictoires. Au quotidien, un PDG doit clarifier sa stratégie par son comportement et son discours.
- S’appuyer sur les effets de levier : avec plusieurs de nos clients nous avons pu identifier que les meilleures opportunités étaient celles d’utiliser leurs capacités et compétences différemment plus que d’utiliser de nouveaux investissements complets. Il est également indispensable de simplifier régulièrement le fonctionnement de l’organisation en identifiant les opérations, produits et services en fin de cycle. Pour changer, à quoi l’organisation doit-elle renoncer ?
- Engager = impliquer : même si les méthodes impliquantes peuvent parfois paraitre complexes, ce sont celles qui apportent le plus de résultat. Nous avons déjà organisé des séminaires de réflexion stratégique avec plus de 50 managers, ce qui a produit un alignement puissant et engageant dans la durée. Nous sommes passés à l’ère de la co-construction où le pouvoir se légitime par sa capacité à susciter l’adhésion.
- Construire rapidement des alliances : c’est une erreur fondamentale que de vouloir se placer en leader héroïque capable seul de faire changer la structure. En réalité, la complexité des organisations impose de s’appuyer sur une équipe transformationnelle de dirigeants ou d’acteurs clefs, réellement engagés dans la réussite du projet stratégique. Ce premier cercle doit également protéger le PDG contre les coalitions négatives, et éviter de le mettre en position potentielle de bouc émissaire, car trop exposé.
- Les idées puissantes viennent des temps off : lorsqu’un PDG est pris en otage par son agenda, il ne peut dégager les ressources cognitives lui permettant de rester créatif. Son esprit reste encombré par les détails, ce qui l’empêche de se focaliser sur le futur et les signaux faibles. Nous avons continuellement observé que les PDG les plus créatifs sont ceux qui gardent des temps hors travail (ex : du sport) et cultivent leurs différentes passions (même s’ils ne sont pas aussi doués que dans leur travail).
- Savoir utiliser le talent des autres : difficile de résister à l’automatisme comportemental « trouver la solution » lorsque l’on est PDG. L’entourage peut vous habituer à être celui qui a la réponse. De nos observations, le talent d’un véritable leader est d’utiliser le potentiel des autres. Quel intérêt de vouloir attirer et retenir les meilleurs, si ce n’est pour les mettre en position passive ? Le PDG doit identifier, catalyser et développer l’intelligence de chacun au service d’un projet commun.
- Eviter l’aversion au risque : les entreprises parce que de plus en plus observées et régulées ont développé une véritable aversion au risque. Les démarches qualité ou le management des risques sont devenus parfois un frein à l’adaptation de l’organisation, car elles ont tendance à rigidifier le management interne, le focalisant sur le contrôle des procédures plus que sur le management des comportements et de la performance. Un PDG trop sous influence des « risquophobes » de l’entreprise peut ne pas prendre les décisions nécessaires à la survie de l’entreprise.
Matthieu Poirot
Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel
Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development
©Matthieu Poirot,2007-2016.
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