Au delà des seuls intérêts financiers, il existe un
ensemble de dispositions psychologiques particulières pour entretenir dans la
durée un désir de ce pouvoir de direction. Les recherches montrant que la
population des dirigeants offre une sur-représentation statistique de
personnalités difficiles ou dangereuses.
Par ailleurs, la réussite est un piège qui n'incite
pas cette population à particulièrement se remettre en question. Le
pouvoir leur fournit l’autorisation de déployer complétement leur écologie
psychique car l’environnement s’adapte à leurs travers comportementaux. Pire,
les recherches en neurosciences sociales et en économie comportementales
démontrent toutes que lorsqu'une personne accède
au pouvoir (même de petit niveau) son degré
d'empathie diminue. Or, plus l'on monte dans la hiérarchie
sociale, plus les comportements sont la clef du succès. Un dirigeant indique par ce
qu’il fait, ce qui est autorisé ou non dans l'organisation. L’attitude d'un
dirigeant est symbolique. De ce fait, ses forces comme ses failles vont
influencer très fortement l'environnement professionnel de l'entreprise et sa bonne
fortune de dirigeant.
Un manager fait faire
Un dirigeant fait être
Le coaching de dirigeant expose à se mettre en relation
avec des personnalités fortes, pleines de pouvoir et de charmes mais également
souvent rudes, manipulatrices et manquant de recul sur leurs défauts.
L'influence qu'elles peuvent avoir sur des dizaines de vie au travail impose
l'importance de pouvoir les accompagner vers des transformations intérieures.
Tâche complexe qui nécessite de bien comprendre les marges de manoeuvres et
limites de ce type de coaching, notamment lorsque le coach a à faire avec une
personnalité difficile, voire dangereuse.
Quelles personnalités toxiques des dirigeants ?
Les attitudes et comportements d’un individu sont
déterminés par un système de croyance qui se construit dès l’enfance. Les
origines de ce système relève autant du domaine de l’acquis (notre
environnement social) que de l’innée (notre héritage biologique). Ces systèmes
de croyances peuvent être suffisamment rigides pour entrainer chez certains,
des comportements et attitudes dysfonctionnelles. A priori, nous n’avons accès
qu’à l’observation des comportements et au discours d’une personne. Je partirai
donc de ces éléments perceptibles pour décrire une personnalité toxique :
«Personne
ayant un ensemble des comportements problématiques, rigides, répétés
et rationalisés».
1 . Les comportements ont des conséquences négatives pour
l’entourage et pour l’individu lui-même.
2 .Celui-ci est capable de justifier ses comportements par
une histoire rationnalisée, limitant les possibilités de remise en question.
3 . La personne est figée dans ses comportements et,
quelque soit la situation à laquelle elle doit faire face, adopte les mêmes
stratégies d’adaptation.
J’ai rencontré les personnalités suivantes en coaching.
Bien entendu, dans la réalité, il m’arrive de rencontrer des personnes à
personnalités mixtes pouvant avoir plusieurs de ces traits, à des niveaux plus
ou moins importants.
le dirigeant narcissique : besoin exacerbé de reconnaissance des autres pour
se rassurer sur sa valeur. Un manque
affectif dans son enfance est souvent à l’origine de ce trait pathologique. Le
pouvoir et la réussite deviennent alors un moyen de s’assurer une
« cours » d’admirateurs/trices et d’obtenir les gains matériels
(ex : revenu) humains (ex : maitresse) et statutaires
(ex :bureau) lui permettant de se prouver leur position « à
part ». Ce type de dirigeant veut être au centre de tout, se lance dans
des projets disproportionnés, souvent contourne les règles sociales et
organisationnelles (ex : triche, détournement), se positionne très
facilement en sauveur et ne supporte pas la contradiction qu’il perçoit comme
un rejet. Il est avant tout un séducteur manipulateur qui instrumentalise
l’autre pour obtenir de l’admiration ou des gains. L’entreprise se structure de
manière clivée autours d’un clan des « pour » et ceux des exclus.
le dirigeant alexithimique : la personne n’arrive pas ou plus à identifier ses
émotions et celles des autres. Cette incapacité à communiquer sur le plan
émotionnel en fait un dirigeant froid et distant ayant très peu de capacité
d’adaptation relationnelle. Aucun enthousiasme ne se dégage de son travail et
de sa communication. Ses collaborateurs ressentent fréquemment un fort déficit
de reconnaissance associé à un sentiment de manque de soutien, notamment
émotionnel. Aucun coaching n’est proposé
à ses collaborateurs et les décisions ne sont prises que par analyse
extrêmement factuelle, sans intuition. Les origines de ce type personnalités
sont autant dues à des déficits neuronaux qu’à un style de défense
psychologique pour des personnes ayant subies des épreuves douloureuses et
traumatisantes. De mes observations, un dirigeant peut devenir progressivement
alexithimique comme modalité défensive à son investissement continu dans un
travail trop stressant. Ce type de
dirigeant peut induire un manque de relationnel entre collaborateur ainsi
qu’une ambiance de travail tintée de déprime et de perte d’engagement, souvent
avec une très forte sous-utilisation de l’intuition et de l’émotion.
le dirigeant type A : nous somme ici dans une attitude générale caractérisée
par l’hyperactivité, l’agressivité, le besoin exacerbé de maitrise du
temps, un sur-investissement professionnel.
Le type A est un profil comportemental dont les études en médecine
montrent le risque accru d’accident cardiovasculaire. Ce type de dirigeant imprime
un rythme très élevé de travail au risque de la santé de ses collaborateurs,
place les objectifs toujours plus haut, ne sait pas dire non ou se désengager
sur des projets, peut se mettre facilement dans de grandes colères, recherche
la compétition, y compris en interne et refuse le droit à l’erreur pour lui et
les autres. Ces comportements induisent une culture réactive sans apprentissage, basée sur l’urgence et l’exploit. On parle pudiquement d’entreprise en
« mode pompier ». Les burnout y sont règuliérement la norme, avec notamment
un grand déséquilibre vie personnelle/ vie professionnelle. Toutes personnes
voulant les aider à se calmer peuvent observer que la prise de recul sur leurs
comportements est minimale pour ces dirigeants car l’introspection n’est pas
psychologiquement tolérable.
le dirigeant paranoïaque : basé sur un
égo surdimensionné, ce trouble de personnalité induit la croyance d’être envié
par des ennemis qui cherchent à vous nuire.
Ce type de dirigeant ne sait pas distinguer entre un danger réel et
fantasmé et peut souffrir d’un délire de persécution ou de forte victimisation.
Comme son attitude cherche en permanence à tester la loyauté de ses
collaborateurs, des clans se forment réellement dans l’entreprise entre partisans
et opposants du dirigeant. Afin de gérer leur insécurité intérieur, ils doivent
en permanence créer des ennemies, ce qui leur procure un sentiment contrôle (je
sais qui est mon ennemie) et de valorisation (cette envie prouve que je suis
exceptionnel). Projetant sur l’extérieur les « mauvaises choses », il
leur est difficile, voire impossible, d’admettre leur responsabilité sur les
événements. Ce mode de fonctionnement induit de sérieux problèmes dans le
collectif qui peut lui même, en miroir, devenir plus méfiant et défensif. Les
opérations courantes et les décisions sont souvent bloquées. L’information ne
circule que de manière parcellaire, filtrée et déformée. Les taux de départ et
de licenciement sont hors normes. Bientôt seuls les flatteurs restent autours
du dirigeant, avec un perte massive de talents.
le dirigeant pervers psychopathe : ce sont des dirigeants caractérisés par des
comportements déviants (détournement d’argent, drogue, de nombreuses aventures
extraconjugales,…), l’absence de remords, un fort besoin de domination et de
sensation forte, une utilisation
systématique de la manipulation et une forte agressivité. La difficulté de ce
type de coaching est qu’il n’existe pas de demande de changement. Les
recherchent montrent qu’ils ont souvent un niveau d’optimisme et de bien être
supérieur à la moyenne. Leur absence d’empathie les rend très adaptés à un
environnement professionnel basé sur la compétition et l’agressivité. Pourtant,
en souterrain, ils minent littéralement les forces vives de l’entreprise. Il
est donc souvent nécessaire d’atteindre un niveau de crise sociale pour que la
demande d’un tiers « force » le dirigeant à se faire
accompagner. Je pense que moins de 30%
de coaching avec un dirigeant de cette personnalité peuvent avoir des résultats
intéressants.
le dirigeant obsessionnel-compulsif : l’anxiété est au cœur de cette pathologie. Cette
personnalité s’observe par un besoin excessif d’ordre et de perfection,
l’impossibilité de déléguer les tâches, une rigidité morale très forte et un
besoin d’économiser en vue d’hypothétiques catastrophes financières. Les
dirigeants ayant ce type de trait ont tendance à épuiser leurs collaborateurs
par un excès de travail et une demande de sur-perfection nocive pour faire
avancer les dossiers. D’un point de vue stratégique, ce sont des dirigeants prudents
qui peuvent faire rater les opportunités et évolutions nécessaires à
l’entreprise par conservatisme et refus d’investir. La culture d’entreprise
finit par être passive. Le coaching peut être intéressant avec ces dirigeants
car il existe une demande potentielle de changement, notamment lors de périodes
de dépression légère.
Quel retour d'expérience ?
De ce que j'en retiens et en ce qui me
concerne personnellement, il m'apparait nécessaire de bien
travailler sur son désir de sauveur.
La première question est d'ordre éthique. Il existe 4
positions possibles :
1 le refus de s'impliquer. Je dis non par principe idéologique
et exigence de pureté.
2 l'instrumentalisation.
Je ne pourrai rien changer mais cela me fait du CA. Autre piste, je me fais
manipuler par manque de connaissance et de compétence sur ce domaine.
3 la complicité. Pour
être en relation avec des personnes de pouvoir, pour nourrir mon propre narcissisme,
j'accepte d'aller dans leur sens.
4 l'influence.
J'accepte en me cadrant sur une obligation de moyen, délimitée par une limite
de temps, d'effort et d'action. Je travaille le cadre éthique de mon intervention
et je me fais superviser.
On ne peut changer une personne à son insu, encore
plus pour des personnalités difficiles ou dangereuses. On ne peut travailler
que sur sa propre réaction afin d'offrir une écoute la plus bienveillante
possible, seule condition maitrisable par le coach pour favoriser un
changement.
Les fenêtres de tir pour le coaching sont généralement
très limitées avec des demandes de changement pouvant
être extrêmement ambiguës et fugaces : un échec professionnel, un
période de vie difficile, la pression de l'environnement, un nouveau poste à
fort défi,...tout regard évaluateur et/ou position de "duel"
relationnel avec le dirigeant risque de le faire battre en retraite ou
d'amplifier ses travers comportementaux. Pour des personnalités fortes mais
toxiques, une grande partie de leurs motivations sont inconscientes. Ils
peuvent donc consciemment vouloir changer tout en luttant avec des
bénéfices secondaires inconscients à ne pas changer.
Comme doit l'être un maitre d'art martiaux, le coach doit
travailler sur son calme intérieur pour faire ce qu'il faut au bon moment,
sans parasite émotionnel et rumination mentale.
Je suis souvent surpris sur la force de permettre aux
dirigeants de pouvoir dérouler leur propre récit de vie. Trouver l'espace pour
s'exprimer leur permet de constituer un discours cohérent sur leurs désirs
et difficultés. L'écoute active et bienveillante permet de se rapprocher
toujours plus de son point aveugle, c'est à dire les dysfonctionnements
comportementaux non conscientisés par la personne.
Cet espace demande un grand travail émotionnel pour
le coach qui doit pouvoir réguler cette charge de travail par
des mécanismes bien rodés de récupération. Cette situation est également
une chance car elle permet de pouvoir mieux repérer ses limites et défauts dans
les processus interpersonnels. L'intérêt de ce type de coaching est de
permettre d'évaluer et de travailler sa réaction dans une situation
relationnelle extrême.
La difficulté force la capacité d'adaptation du
coach. L'âge et l'expérience sont donc essentiels pour "s'assouplir"
psychologiquement et relationnellement. Il est certain que le coaching de ce
type de situation repose également sur des connaissances et compétences
cliniques en psychopathologie et psychothérapie mais également sur son ombre
(Jung). Les outils simples de coaching (par exemple un peu d'AT et de PNL)
par ailleurs très utiles, ne sont pas suffisants pour ce type de coaching. Ils
peuvent même être dangereux en donnant un sentiment de maitrise sur une
situation qui n'en propose pas. Ce savoir faire risque également d’être utilisé
par un dirigeant toxique pour apprendre à mieux manipuler.
Le coach doit également bien connaitre le monde de
l'entreprise et la dynamique relationnelle des organisations, notamment au
niveau des comités de direction. Les enjeux sont complexes, parfois paradoxaux,
avec des agendas et intérêts cachés très importants. Le monde des dirigeants
repose sur des codes sociaux et anthropologiques particuliers qu'il faut
connaitre et maitriser pour se légitimer, sans pour autant faire
partie complètement du système. Je pense que pour pouvoir influencer
des dirigeants, qu'ils soient toxiques ou non, le coach doit être considéré
comment un pair mais indépendant et alternatif.
Les techniques pouvant être utilisées dans les séances
doivent être larges et souples. La première « technique » est le
silence, l’écoute profonde. J’entends par cela une disponibilité réelle échappant
à toutes pensées parasites. Une écoute basée sur une pleine conscience de ce
que livre le client. Le questionnement et le travail ne doivent servir qu’à
amplifier les réponses déjà présentes dans la pensée du client. Car celui-ci
est avant tout ambiguë, ce qui est encore plus le cas pour des personnalités
toxiques en réussite sociale : ils souffrent, savent souvent ce qu’il faut
faire (attention, nous avons à faire à des personnes souvent très
intelligentes), mais sont en compétition avec eux mêmes pour modifier leurs
comportements car leurs comportements actuels ont des gains importants.
Mes objectifs de
changement
|
Ce que je voudrais
stopper, changer, amplifier comme comportements
|
Les gains de mes
comportements actuels
|
Ce que je fais
réellement
|
Matthieu Poirot
Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel
Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development
©Matthieu Poirot,2007-2016.
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