Le secteur de
la recherche est un milieu très singulier, en pleine mutation. Nous allons tout
d’abord aborder les différents éléments socio-organisationnels et
psychologiques régissant le milieu de la recherche. Puis nous aborderons les
évolutions et défis auxquels doit faire face ce milieu, avec notamment les
influences potentielles sur le stress au travail. Dans ce contexte nous poserons la question de
l’intérêt pour le milieu de recherche de lancer une démarche QVT puis
terminerons sur l’importance croissante de favoriser la qualité managériale et les
compétences relationnelles.
Quel fonctionnement socio-organisationnel du milieu
de la recherche ?
Nous nous
référons au travail du Pr Mintzberg, de l’université de Mc Gill, sur les
profils d’organisation. Dans sa théorie des configurations, Mintzberg analyse
les organisations suivant plusieurs attributs fondamentaux. La réussite d’une
organisation ne dépend pas d’un seul attribut mais de leurs combinaisons. Ainsi
n’existe-t-il pas de “meilleure manière d’agir” mais des possibilités de “mettre
ensemble les bons ingrédients en fonction du contexte”. Il tira de l’observation de nombreuses
organisations, 7 configurations possibles. Sans développer les autres que le
lecteur pourra retrouver dans ses livres, celle des organismes de recherche
repose sur la configuration d’organisation
professionnelle.
La structure de
ce type d’organisation repose principalement sur le besoin de reproduire et perfectionner un savoir-faire
opérationnel complexe, de manière stable dans le temps. Cette
« bureaucratie professionnelle » comme la nomme Mintzberg est très
commune dans les universités, organismes publiques de recherche, écoles, les
hôpitaux, les experts comptables, les sociétés d’ingénierie, les journaux,…
L’organisation professionnelle recrute des professionnels dument formés et
socialisés et leur laisse une très forte autonomie sur la manière de faire leur
travail. Loin d’être anarchique, l’organisation du travail repose principalement
sur la norme professionnelle. Celle-ci
permet aux différents opérateurs de se coordonner au travail. Ainsi chacun dans
une salle d’opération sait ce que chacun doit faire. Il en va de même dans un
journal où la norme permet à la rédaction de produire avec peu de
« management ». La standardisation des qualifications est la garantie
du travail bien fait. Tout autre forme
de standardisation reste quasi impossible tant les différentes
« tâches » sont complexes à analyser. Comment standardiser la
créativité ou le travail d’un chirurgien ?
Les standards
professionnels sont par ailleurs définis en dehors de l’organisation, bien
souvent par des associations autogérées. Le pouvoir repose ainsi sur la
compétence et la hiérarchie interne doit composer avec les professionnels. La
supervision d’un manager est généralement vécue dans ce type d’organisation
comme une limite à l’autonomie professionnelle.
La ligne hiérarchique y est donc très mince. Par exemple, dans de
nombreuses universités dans le monde, un département de 40 professeurs peut
n’avoir qu’un chef (le doyen) par ailleurs désigné par les professeurs.
Les centres de
support logistique et administratif qui peuvent fonctionner sur une logique de
hiérarchie de pouvoir (le manager indique la norme de travail et coordonne les
« opérateurs ») doivent répondre principalement aux besoins de ces
« professionnels ». En fait, ces
derniers cherchent à « prendre le contrôle » de ces centres qui
affectent leur travail. Il existe bien une opposition d’influence entre la
hiérarchie des fonctions supports et les professionnels, pour le contrôle des
ressources administratives et logistiques.
Les directions
de ce type d’organisation ont souvent un pouvoir reposant sur le statut mais
surtout sur leur capacité de négociation.
Un dirigeant peut rarement imposer directement le travail aux
professionnels. Il doit co-construire avec eux les solutions. Lorsque le
dirigeant se positionne de manière trop directive dans une organisation
professionnelle, il court le risque de se faire rejeter massivement.
Les 2 rôles
principaux des directions sont :
- négocier des ressources à l’extérieur pour les professionnels et protéger leur autonomie : le gouvernement, les clients, les associations, les collectivités, les entreprises,…
- résoudre les conflits entre « unités » de professionnels. Qui doit s’occuper de tel article ? Qui doit avoir le budget pour telle ou telle recherche ? Qui doit réaliser une intervention médicale entre 2 spécialistes ?
Si ces 2
activités prennent un temps considérable aux dirigeants d’organisation
professionnelle, elles sont le garant de leur pouvoir d’influence.
Enfin pour
assumer le plus haut degré de professionnalisme ce type d’organisation
développe bien souvent une stratégie globale visant à la stabilité de son
fonctionnement, couplée parfois de manière paradoxale à des stratégies locales
d’innovation perpétuelle. L’observateur extérieur peut donc se laisser piéger par
l’image d’une forte résistance au changement mais également par une
représentation de « chao organisationnel ».
Quel profil psychologique est-il attiré par les
organismes de recherche ?
Qui peut donc rêver
de travailler dans ce type d’organisation ? La théorie des organisations
indique depuis toujours que les profils psychologiques diffèrent suivant les
métiers et organisations.
Depuis 20 ans
que nous fréquentons ce type d’organisation, nous observons certains patterns
psychologiques récurrents. Bien sur, ces patterns sont des traits pouvant être
de degrés très divers. Il existe par ailleurs une grande diversité de profils.
La théorie n’épuise jamais le réel.
Pour résumé
notre vision influencée par les travaux de Jung et la psychologie de la motivation,
il semble que le profil idéal de la recherche soit une personne désirant innover et conceptualiser comme un entrepreneur
mais sans risque financier (avoir un chèque à la fin du mois) et/ou sans se
compromettre avec des entreprises à but lucratif.
Les fonctions
psychologiques principales utilisées sont celles de la pensée et de l’intuition
au détriment des affects et des sentiments.
Les personnes y sont plus souvent introverties, c’est à dire que leur énergie
psychique est tournée vers l’intérieur. Ceci présuppose que la récupération au
stress se fait majoritairement par des temps importants de solitude ou par des
échanges relationnels en petit comité et dans l’intimité. L’excitation, le
bruit et les foules sont épuisants pour ce type de profil psychologique. La vie
intérieure est souvent pleine et remplie d’imagination. Les valeurs sont
portées sur le développement durable, la création et la transmission,
c’est-à-dire des valeurs « féminines ». Ce type de personne serait
malheureuse dans une organisation commerciale très extravertie et aux valeurs
« masculines » de conquête et de pouvoir.
Certaines
organisations mixtes, comme les écoles de commerces, qui ont aussi un profil
d’organisation entrepreneuriale peuvent attirer des personnalités plus
compétitives. Mais en grande tendance, ce profil reste rare dans le milieu de
la recherche.
Certains
« chercheurs » peuvent également développer un sens important de leur
personne (egotypie) et se comporter sur un versant tyrannique proche des
personnalités obsessionnelles-compulsives ou sur un versant paranoïaque. Ces
profils peuvent être compliqués à gérer car protégés par statut (fonctionnaire)
ou suffisamment « stars » pour ne pas être recadrés par le management
et la fonction RH. D’autres encore, peuvent s’enfermer dans une peur de l’autre
(anxiété sociale) les conduisant à s’enfermer dans le monde des concepts, au
détriment de la relation.
De manière
générale, le milieu de la recherche fonctionne en motivation interne, c’est-à-dire
par plaisir de bien faire son travail et non par désir de récompense importante
(les salaires sont faibles pour un très haut niveau de qualification) ou d’éviter
une sanction (la régulation des comportements se fait par les pairs et peu par
le management). Les 3 besoins psychologiques fondamentaux y sont
essentiels : se sentir compétent, autonome et associé à un collectif de
travail reconnaissant et respectueux.
Quelles sont les évolutions des ces organisations
et quels effets cela peut-il avoir sur les chercheurs ?
La première évolution que tout le
monde peut constater est la difficulté pour trouver des financements. Depuis la
crise, les budgets sont en baisse et les chercheurs doivent faire appel à des
financements privés ou des dons. Pour les écoles de management ou d’ingénieur
et les universités, cette situation entraine une mutation dans le travail des
chefs de département ou de laboratoire. Ils doivent se transformer en
ingénieurs-commerciaux capables de vendre un projet de recherche et ses retombés
potentielles. Si la crise a accéléré ce processus, cette tendance était déjà
amorcée, avec notamment l’idée de cluster et d’incubateurs. Cette évolution
suit celle plus profonde d’une société de l’entreprenariat tournée vers
l’innovation. La recherche peut donc se
voir dotée de moins de budgets « publics » mais devient un actif
stratégique et central du marché privé. Cette évolution nécessite une
acculturation des chercheurs aux normes de l’entreprise privée. La baisse des
budgets peut entrainer une obligation de faire plus avec moins, ce qui pour des
chercheurs désireux de bien faire leur travail, peut être vécu comme un conflit
éthique générateur de stress. L’enjeu est que cette évolution n’entame pas la
mission centrale de l’organisation : produire de la recherche de qualité
guidée par les normes professionnelles.
La deuxième évolution est la
tendance parfois insistante à l’évaluation. Lorsque le budget se fait moindre,
il convient d’aborder une stratégie « d’avantage compétitif » :
pourquoi nous plutôt qu’un autre ? 3 possibilités existent : le
leadership par les coûts, le leadership par différenciation et enfin l’hybride.
- La stratégie par les coûts présuppose d’être le moins cher sur son marché, ce qui implique de pouvoir travailler la productivité, c’est à dire le rapport du résultat produit sur une unité de temps avec les ressources nécessaires. Plus l’on est productif, plus l’organisation peut réduire ses coûts et donc gagner des parts de marché par cette dimension. Pour la recherche, cette stratégie nécessite de pouvoir découper le travail en unités afin de le standardiser le plus possible.
- La stratégie par différenciation présuppose d’offrir une valeur ajoutée supérieure à celle de ses concurrents. La production de service ou de bien doit alors s’appuyer sur la qualité et l’innovation. Pour la recherche, cette stratégie nécessite d’évaluer la performance des chercheurs afin de s’assurer de la valeur ajoutée de chacun dans la chaine de production.
- La stratégie hybride cherche à fournir plus de valeur ajoutée que ses concurrents tout en le faisant à moindre coût. Cette stratégie peut entrainer de nombreuses injonctions contradictoires, que l’on retrouve notamment dans les grands organismes de recherche, fonctionnant en matriciel. Le pilotage se fait alors beaucoup par reporting et donc par évaluation.
Il résulte que
le chercheur est de plus en plus soumis à de l’évaluation, ce qui s’apparente à
une opposition au système autogéré des organisations professionnelles et au
besoin psychologique d’autonomie de la plupart des chercheurs.
Au final,
l’introduction des normes entrepreneuriales dans la vie de ce type
d’organisation peut générer un stress important et des tensions entre la ligne
hiérarchique et les chercheurs.
Quel intérêt des démarches QVT ?
La Qualité de Vie au Travail est une démarche proactive
et concertée de l’entreprise, visant à améliorer le vécu des salariés, à
travers des actions sur l’organisation du travail, les pratiques de management
et l’individu. Les démarches qualité de vie au travail sont le moyen permettant
à l’entreprise:
- de promouvoir la capacité de gestion du stress des salariés
- d’identifier et réguler les risques psychosociaux de l’environnement de travail
Ce qui induit une meilleure adéquation entre l’individu
et l’organisation (entreprise en santé) et qui s’évalue par :
- une meilleure santé psychologique des salariés
- une baisse des coûts cachés.
Le premier
intérêt de ce type de démarche est de pouvoir bénéficier d’un diagnostic
objectif sur le niveau de santé psychologique des salariés, les facteurs de
risque et de protection dans l’organisation. Bien souvent les différents
acteurs de l’organisation de recherche n’ont aucune vision précise de comment
se portent leurs salariés. Le fait d’avoir un diagnostic objectif et partagé
permet d’identifier l’existence ou non de problèmes importants :
Qu’en est
il ?
- du stress au travail ?
- de l’effet des conditions de travail sur la qualité de mon travail ?
- de la charge de travail ?
- de l’autonomie ?
- de la reconnaissance ?
- de l’accompagnement au changement ?
- des incertitudes pour l’avenir ?
- ….
Ce diagnostic
doit conduire par la suite, à la construction d’un plan d’action ayant été
travaillé avec des participants volontaires ainsi que le CHSCT et le
Codir. Ce travail, s’appuyant sur la
réalité de terrain, permet d’identifier quelles sont les marges de manœuvre
pour améliorer le vécu des salariés. Il est aujourd’hui essentiel de garantir
de la qualité de vie au travail dans le milieu de la recherche pour :
- Préserver le bien-être des personnes
- Garantir une motivation maximum, garante d’un travail de qualité
- Motiver les plus jeunes à suivre cette voie et garder les talents
- Limiter les situations dégradées qui perturbent fortement le travail
- Accompagner convenablement le changement pour ne pas générer de la résistance non constructive
- Préserver l’image de marque de l’institution ; actif important pour chercher les budgets
- Conserver la cohésion des salariés
Cependant ce
travail sur l’organisation ne peut être suffisant s’il n’est pas également
accompagné par un réflexion et une action sur 2 autres dimensions : la
qualité managériale et les compétences relationnelles.
L’importance d’accompagner le management et de
promouvoir les compétences relationnelles.
Une
organisation peut être « parfaitement huilée » mais le service
souffrir d’un manque de qualité managériale. Les managers dans les
organisations professionnelles sont souvent des « super-experts ». Or,
plus l’on devient manager, plus les compétences relationnelles et stratégiques
deviennent importantes au détriment de l’expertise. Comment accompagner ce
mécanisme qui est à risque pour un chercheur ? En effet, comment peut-il
par la suite conserver sa légitimité s’il perd en expertise ? Lorsque
cette transition vers le management se fait mal, il y a des chances que
l’organisation perde un bon chercheur et gagne un mauvais manager, ayant un
impact négatif sur ses équipes.
Plus
l’organisation professionnelle va devoir fonctionner avec un mixte
d’organisation professionnelle-entrepreneuriale, plus le management intermédiaire
aura un rôle important pour créer du liant, favoriser la coopération, faire
prendre du recul sur le travail, donner de la reconnaissance, coacher la
performance et accompagner les changements.
L’un des principaux défis stratégiques pour
l’organisation de recherche va être de développer des managers de qualité
favorisant le travail des chercheurs tout en étant capable d’accompagner
positivement les transformations organisationnelles.
Par ailleurs,
pour chaque chercheur, il devient indispensable de travailler sur ses
compétences relationnelles afin de gagner en influence interne, de limiter les
conflits, de travailler efficacement à l’international, de travailler en
équipe, de gérer les « clients »,… Ce type de compétence n’est pas ou
peu travaillé dans le cursus de la recherche où l’expertise est plus importante.
Toute organisation de recherche a donc intérêt à développer une offre de
formation complémentaire, axée sur le développement de compétences
« relationnelles » : s’affirmer, influencer, gérer les conflits
et les désaccords, gérer son stress, travailler en équipe,…
Tout un
programme, que la qualité de vie au travail peut permettre d’accompagner et de
cibler.
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