L’organisation du travail est toujours défaillante
face à la réalité complexe du terrain. Cette
évidence suppose que les salariés compensent les écarts et trouvent des
solutions pour permettre l’efficacité et la qualité du travail. Sans
engagement, le collaborateur ne fait que ce qui est inscrit dans les textes,
sans prise de risque pour un travail de qualité. Sans engagement, plus de don
de soi comme l’indiquent une majorité des experts du travail. Or c’est cet
investissement psychique qui permet à l’organisation de rester adaptative et
créative ; c’est à dire agile.
La qualité de service est au cœur de la valeur
ajoutée des organisations. Au fond qu’est-ce qu’un service ?
Une relation d’aide. Plus les personnes sont désengagées, plus le client peut
le ressentir car la qualité relationnelle devient primordiale dans l’expérience
client. Pire, les collaborateurs peuvent être présents sur le travail mais ne
pas produire ou être efficace en adoptant une stratégie de présentéisme :
« je suis là mais je mets mon énergie à en faire le moins possible ».
Pour contrer ce phénomène, les entreprises vont augmenter le contrôle par les
procédures et le contrôle managérial, ce qui :
- augmente les couts cachés
- empêche les plus motivés de travailler
- réduit l’agilité de l’organisation
- empêche les managers de se concentrer sur la gestion des talents
Le
désengagement est déjà très important dans les organisations occidentales. Selon
l’institut Gallup :
- 25% sont pleinement engagés
- 60% sont légèrement désengagés
- 15% sont clairement désengagés
En France, je
constate sur le terrain que le désengagement conduit plus au phénomène de
présentéisme. Par peur du chômage, les personnes restent dans l’organisation
mais réduisent drastiquement leur contribution, au point d’être très en dessous
des normes de productivité exigées. Elles utilisent alors des stratégies de
contournement et de protection collective pour empêcher le management de
pouvoir réguler la situation.
Si cette
situation est observable par les autres collaborateurs et que la situation
perdure, alors chacun se démotive par sentiment d’injustice.
Pourquoi on
arrive-t-on à ce stade ? Principalement pour des problèmes de qualité de vie au
travail. En effet, comment puis-je rester
engagé au travail si cela ne se fait pas dans le cadre d’une bonne qualité de
vie au travail ? Le cycle négatif est le suivant :
Comment briser ce cercle infernal ? Ce n’est pas
facile, car dans de nombreuses organisations, les dirigeants « ne savent
pas ce qu’ils ne savent pas », c’est à dire que l’information sur le vécu
négatif des collaborateurs ne leur remonte pas.
- Les fonctions RH sont en sous-effectif, ce qui ne leur permet pas d’être dans l’accompagnement des collaborateurs, notamment pour des entretiens de départ permettant d’identifier les causes réelles.
- Les salariés désengagés ont tendance à ne pas expliquer pourquoi ils partent pour ne pas se mettre en difficulté sur le marché du travail et parce que dire cette vérité repose sur une relation de confiance qu’ils n’ont souvent plus avec l’organisation et son management.
- Les managers ont tendance à cacher leurs difficultés ou à ne pas vouloir le savoir car ils vivent souvent leur poste comme un semi-échec. L’empilement des projets les met dans l’impossibilité d’atteindre l’ensemble des objectifs. Pire, certains pensent au fond que les comportements déviants des collaborateurs justifient leur existence.
- Les dirigeants sont centrés sur la stratégie et la gestion des parties prenantes (surtout leur chef d’ailleurs,…) ce qui fait qu’ils connaissent peu la réalité de terrain, outre les tableaux de bord. Leur manque d’intérêt les conduit à n’écouter que les informations consolidant leurs choix stratégiques.
Ce manque de
prise de conscience induit que du collaborateur aux dirigeants, personne n’a profondément
conscience d’un système efficace de
désengagement.
Soyons plus
précis sur le lien entre qualité de vie au travail et désengagement. De manière générale, notre qualité de vie
repose sur notre activité au quotidien. C’est elle qui va générer expériences
émotionnelles négatives ou positives. Au
niveau psychologique, nous vivons 3 activités :
- Notre cerveau est concentré sur un objectif et nous ressentons les capacités de l’atteindre : état émotionnel de la sérénité au plaisir intense
- Notre cerveau est concentré sur un objectif mais nous ressentons l’incapacité de pouvoir l’atteindre : état émotionnel de la frustration à une forte anxiété
- Notre cerveau n’a pas d’objectif particulier et commence à ruminer sur nos problèmes : état émotionnel de l’ennui à l’angoisse
Lorsque le
travail fournit à la fois des défis positifs, l’autonomie suffisante pour nous
mettre en motivation interne (on fait les choses pour soi et non par évitement
de la sanction ou pour une récompense) et les moyens de bien faire son travail
alors nous nous avons statistiquement beaucoup plus l’occasion de vivre des
activités à émotions positives. Par ailleurs, lorsque l’activité est positive
mais également partagée avec un collectif que l’on apprécie, ces émotions
seront d’autant plus amplifiées. L’engagement se nourrit de ces émotions
positives pour faire perdurer l’effort au travail.
Encore faut-il
un environnement professionnel de qualité où les managers et les
dirigeants ont tout leur rôle à jouer :
- Fournir des objectifs de qualité : motivants, clairs, cohérents et rattachés à la stratégie Comprendre et réguler le lien entre le collectif de travail et le reste de l’organisation
- Faire participer les salariés à l’organisation du travail afin de limiter les décalages éventuels entre travail prescrit et travail réel et clarifier les rôles de chacun ; les faire participer aux évolutions et changements
- Favoriser un climat de travail positif basé sur le respect et la gestion constructive des désaccords
- Avoir des pratiques équilibrées de management, ni trop affectives avec les équipes ni trop instrumentales, procédurières et directives
- Favoriser la reconnaissance en veillant à l’équilibre rémunération/contribution, offrir des possibilités d’évolution, s’intéresser sincèrement au travail et efforts des collaborateurs ; réguler rapidement les problèmes de sous-performance
- Gérer les difficultés liées à des personnes « difficiles » qui peuvent miner ou manipuler le collectif de travail
Un manager se
voulant efficace pour désengager ses collaborateurs peut par exemple :
- Ne pas fournir d’objectif précis et/ou des objectifs paradoxaux
- Imposer en permanence l’organisation du travail et les changements ; mettre chacun en surcharge
- Isoler son équipe du reste de l’entreprise ou ne pas la protéger des demandes incessantes
- Faire du favoritisme et dégrader le climat dans l’équipe
- Être agressif puis sympa puis agressif puis sympa,…pour que chacun soit insécurisé
- Ne jamais donner de reconnaissance, voir minimiser les efforts (« c’est normal, tu es payé pour travailler »), voir récupérer le travail des collaborateurs ; empêcher les meilleurs d’évoluer
- …
La palette pour
désengager efficacement peut être très importante. Cela nécessite bien entendu un travail
constant de tous les jours. Cependant un
tel comportement n’est possible que si les dirigeants font également un effort sérieux :
- Décréter une stratégie en incohérence totale avec les moyens réels de l’organisation puis ne pas prendre le temps de l’expliquer
- Ne pas suivre l’impact du management sur le moral des collaborateurs
- Avoir des comportements non exemplaires (ex : ne jamais dire bonjour, voir avoir un énorme bureau alors que chacun se serre dans les locaux) voir déviants (abus de bien sociaux)
- Ne recruter les managers que sur le diplôme (il a fait HED comme moi) ou l’expertise (il devient chef car il fait mieux que les autres) sans prendre en compte les 2 critères essentiels du management : la capacité à appréhender la complexité et l’intelligence relationnelle
- Ne jamais discuter du management au sein de l’équipe de direction afin de clarifier les attendus de comportements managériaux
- Ne pas impliquer les managers dans les changements
- Ne pas gérer les cas de management toxique
- Eliminer les talents pour qu’ils ne prennent pas sa place
- …
_____
Les questions de Matthieu pour augmenter
efficacement le désengagement:
A titre
collectif :
- Quelles sont nos intentions cachées qui nous motivent à faciliter le désengagement ?
- Quelles sont nos pratiques les plus efficaces pour désengager nos collaborateurs ? En quoi sont-elles efficaces ? Qu’est-ce qui les maintient ?
- Qui en est le plus touché ? Comment le savez-vous ?
A titre
individuel :
- Quels sont les comportements que je mets en place pour participer efficacement au désengagement ? Quels en sont mes « gains implicites »?
_____
Comment faire,
si vous souhaitez ne plus participer au désengagement des collaborateurs ?
Avec
l’expérience en coaching de dirigeant je dirais qu’il est plus facile de
demander à quelqu’un d’arrêter de mauvais comportements que de mettre en place
de nouveaux :
- Demander à son entourage global (collègues, amis, famille,…) quels sont vos comportements qu’ils trouvent irritants ou dommageables pour leur vécu émotionnel
- Identifier les comportements récurrents, identifiés par une majorité
- Décider de 3 comportements à stopper, notamment en précisant les gains pour vous et votre entourage professionnel
- Publiciser votre intention de changer
- Identifier 2 à 5 personnes de confiance pouvant vous indiquer si vous êtes sur la bonne voie
Prochaine formation : Gérer les Personnalités Toxiques
Matthieu Poirot
Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel
Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development
©Matthieu Poirot 2015
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