M. Frank est Directeur Général de Touvabien, entreprise spécialisée dans la
fabrication de pièces détachées pour l’aviation. Lorsqu’il est nommé en 2007,
l’entreprise se porte bien et le problème principal à gérer est celui de la
surcharge de travail.
Malheureusement, la crise de 2008 a fragilisé le marché de l’entreprise et M. Frank doit prendre des dispositions draconiennes pour éviter que l’entreprise ne périclite : réduction des dépenses générales, réduction du personnel intérimaire, gel des embauches, arrêt des investissements. Le climat social se dégrade et une grève éclate. Il est vrai que M. Frank est bien seul au sein de son codir pour gérer la situation et qu’assez souvent le management intermédiaire n’est pas à la hauteur. En période de forte charge, le recrutement des managers n’a pas toujours été rigoureux et surtout personne n’a géré la situation des salariés posant des difficultés de performance. La paix sociale a été achetée.
Malheureusement, la crise de 2008 a fragilisé le marché de l’entreprise et M. Frank doit prendre des dispositions draconiennes pour éviter que l’entreprise ne périclite : réduction des dépenses générales, réduction du personnel intérimaire, gel des embauches, arrêt des investissements. Le climat social se dégrade et une grève éclate. Il est vrai que M. Frank est bien seul au sein de son codir pour gérer la situation et qu’assez souvent le management intermédiaire n’est pas à la hauteur. En période de forte charge, le recrutement des managers n’a pas toujours été rigoureux et surtout personne n’a géré la situation des salariés posant des difficultés de performance. La paix sociale a été achetée.
Dans ce contexte, M. Frank cristallise tous les mécontentements. Il se
retrouve seul au front et les autres dirigeants, s’ils semblent le soutenir en
surface, entendent bien profiter de cette situation pour se protéger. Les
managers de proximité se positionnent de
plus en plus comme simples collaborateurs et n’incitent pas à suivre les
directives de l’entreprise. Cette situation entraine une forte perte d’efficacité
interne et marginalise les personnels de bonne intention. Afin que la crise ne
perdure, l’actionnaire principal de l’entreprise décide de se séparer de M.
Frank.
Etude de cas 2 :
Mme Yves est nommée Directrice de Service au sein d’un département R&D
d’une entreprise du CAC 40. Le service
est composé de salariés dont la mission est d’être à la fois experts techniques
dans leur domaine ainsi que chefs de projet. Une partie de l’équipe n’a jamais
accepté d’avoir à être également chef de projet et l’annonce ouvertement à
chaque réunion de groupe. Ce comportement est renforcé par la conviction pour
ces personnes que leur niveau d’expertise les rend indispensables pour la
structure. Mme Yves se crispe et son comportement agressif permet aux
résistants de se positionner comme victimes. Une enquête harcèlement est
demandée par le CHSCT. En colère vis-à-vis de cette situation qu’elle considère
comme injuste, Mme Yves devient alors encore plus rigide, y compris avec sa
hiérarchie. Ce comportement semble justifier auprès de sa hiérarchie que le
problème c’est elle. Par prudence et facilité, la DRH préfère s’en séparer.
Tous les directeurs le savent : ils peuvent se retrouver un jour ou l’autre
en position de “bouc émissaire” de la structure. C’est ce mécanisme mainte fois observé sur le
terrain que nous allons tenter de comprendre. Schématiquement, tout collectif
fonctionne sur deux mécanismes psychologiques majeurs : l’illusion de
groupe et l’identification au leader.
La dynamique des groupes
La recherche sur les organisations a permis de constater plusieurs
phénomènes :
- L’existence de liens informels entre salarié et petits groupes, permettant de définir des normes et des règles implicites s’appliquant à la production, aux relations avec la hiérarchie et à la relation entre collègues ;
- Une fonction de protection matérielle et psychique des petits groupes, permettant de lutter contre l’emprise de l’organisation ;
- L’importance du climat affectif dans les rapports relationnels ;
- L’importance de la reconnaissance pour protéger l’estime de soi et sur la dynamique de groupe. Le peu d’influence des conditions réelles de travail si cette condition de la reconnaissance n’est pas respectée ;
- L’existence de leaders implicites de groupe, différents de la ligne hiérarchique.
D’un point de vue psychologique, pour que des salariés se représentent
comme faisant partie d’un groupe, ceux-ci doivent s’appuyer sur un imaginaire
inconscient d’un collectif constitué pour protéger tout un chacun. Cet
imaginaire repose sur l’illusion que chaque membre malgré ses différences, est
accepté à sa juste valeur. Ce phénomène psychique a pour fonction de faire face
aux difficultés du travail et aux angoisses existentielles, notamment celle
d’être seul. Cette dimension affective
du groupe engendre des dynamiques relationnelles complexes de rejet-intégration,
dont un leader implicite peut s’emparer. Régulièrement,
afin de resserrer les rangs, un bouc émissaire va être désigné. Il permet de
mettre en avant les limites de ce qui constitue le groupe. Il y a
« nous » et « lui » ou « eux ». Même si le bouc
émissaire est un membre de l’organisation, la menace dont il serait porteur
unit les autres dans une position de victimisation qui ressert les rangs du groupe. Ce phénomène est d’autant plus puissant que
le groupe se représente lui-même comme victime du bouc émissaire, perçu comme
coupable ; ce qui en justifie l’exclusion.
Mettez un agrégat de personnes sur une île déserte et vous retrouverez
rapidement une structure sociale avec un leader ou plusieurs groupes en
opposition du fait d’une guerre de chefs. Tout collectif a besoin de déterminer
un chef afin de faciliter la prise de décision et limiter le risque de tension
entre ses membres. Souvent précurseur, le leader est celui qui se positionne
comme garant de l’illusion de groupe, voir son créateur. Ce statut de leader va lui permettre de créer
les normes du groupe. Afin de s’intégrer au groupe, chacun est sommé d’y obéir par
socialisation : cadence, liens de coopération, rapport au management, etc.
La plupart des dirigeants ont connu un jour ou l’autre cette situation dans
laquelle ils doivent gérer l’influence d’un ou plusieurs leaders implicites sur
le collectif de travail. Par expérience, j’ai souvent observé que plus les entreprises désinvestissent le
champ social pour ne se concentrer que sur l’opérationnel, plus elles laissent
la possibilité de création de leaders implicites qu’elles devront combattre par
la suite.
Par ailleurs, lorsque le groupe connaît un fort niveau de stress,
l’illusion de groupe peut s’effilocher. Les membres du groupe vont alors
chercher à conserver l’équilibre du groupe en désignant l’ennemi intérieur
responsable de cette rupture psychique. Si le leader implicite est en rivalité
avec le directeur, il utilisera les failles managériales et organisationnelles pour
le mettre dans la position du bourreau, pour in fine, transformer le directeur en bouc émissaire.
Malheureusement, les directions
générales et les directions de ressources humaines ne sont pas toujours
conscientes de ce phénomène ou peuvent utiliser également le directeur comme
fusible pour ne pas avoir à traiter des problématiques structurelles de
l’organisation :
- La distribution du pouvoir, notamment sur la prise de décision stratégique qui ne prend pas en compte l’avis des directeur de BU ou de département.
- Le coordination des différentes directions fonctionnelles et opérationnelles afin qu’un système matriciel n’engendre pas d’injonctions contradictoires.
- Le nombre de projets lancés en parallèle qui génère une culture de l’urgence et une désorganisation chronique ; le tout entrainant surcharge et baisse de la qualité.
La situation managériale la plus à risque est celle d’un dirigeant devant
redresser une entreprise longtemps à l’abri de la « guerre
économique ».
Une partie des salariés, parfois majoritaire, y a développé des pratiques
de sous-performance, compensées par un marché naturel type « vache à
lait », monopolistique ou captif. Lorsque la nouvelle donne économique
oblige l’entreprise ou le département à augmenter le niveau de pression, le
directeur peut le faire maladroitement en mettant l’objectif trop haut et/ou trop
tôt. Cette précipitation s’explique souvent par l’acuité aigue du dirigeant sur
la situation et son inquiétude à ne pas redresser assez rapidement la
barre. Mais, il n’est pas du système
historique et sa vision de la situation peut être différente de celle des
salariés qui eux, doivent prendre conscience que leur situation a changé. Un contexte
de fort niveau de stress engendre potentiellement une régression de la
psychologie collective entraînant des modes de fonctionnement plus
archaïques : l’affect prend le dessus sur la raison et il y a fort à
parier que le groupe sera beaucoup plus suggestible aux phénomènes de
manipulation collective et aux rumeurs.
Plus le dirigeant se positionne
au départ comme sauveur, plus il encourt le risque de terminer comme bouc
émissaire. Il convient rapidement d’obtenir des « petites
victoires » permettant d’apporter de l’espoir et de contrecarrer ce
mécanisme. Cette pression est l’occasion rêvée pour les leaders implicites de
monter le collectif de travail contre le directeur. Par ailleurs, il se peut
que le directeur ne puisse réellement s’appuyer sur l’équipe de direction, plus
ancienne, qui fait autant partie du système que les salariés.
Dans ce contexte, un nouveau directeur peut mobiliser un consultant pour
ses 100 premiers jours ou pour gérer la crise. L’intérêt sera de lever le
sentiment de solitude, de pouvoir compter sur un regard extérieur attentif aux
mécanismes psychosociaux, de rendre plus stratégique et tactique le
comportement du dirigeant et de l’aider dans ses décisions. La plus importante de ses décisions concerne
l’équipe de direction : qui garder ? Comment faire porter le
changement par un collectif managérial ? Il s’agit d’éviter l’effet
« tête d’épingle » où le changement est identifié au seul directeur.
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