Le contexte force les équipes de direction à prendre des décisions qui peuvent rendre les équipes de plus en plus frustrées, amenant parfois à de véritables crises sociales, voire à un phénomène de bouc émissaire du dirigeant.
Il est essentiel pour une équipe de direction de comprendre les effets de sa posture ainsi que sa communication sur l’anxiété et la colère que cela peut générer dans les collectifs, et comment cela peut être utilisé par des influenceurs destructifs.
Tous les directeurs le savent : ils peuvent se retrouver un jour ou l’autre en position de “bouc émissaire” de la structure. C’est ce mécanisme maintes fois observé sur le terrain que nous allons tenter de comprendre afin de proposer quelques pistes de solutions. Schématiquement, tout collectif fonctionne sur 2 mécanismes psychologiques majeurs : l’illusion de groupe et l’identification au leader.
La dynamique des groupes
La recherche sur les organisations a permis de constater plusieurs phénomènes :
· L’existence de liens informels entre salariés et petits groupes, permettant de définir de normes et des règles implicites s’appliquant à la production, aux relations avec la hiérarchie et à la relation entre collègues ;
· Une fonction de protection matérielle et psychique des petits groupes permettant de lutter contre l’emprise de l’organisation ;
· L’importance du climat affectif dans les rapports relationnels ;
· L’importance de la reconnaissance pour protéger l’estime de soi et sur la dynamique de groupe. Le peu d’influence des conditions réelles de travail si cette condition de la reconnaissance n’est pas respectée ;
· L’existence de leaders implicites de groupe, différents de la ligne hiérarchique utilisant les émotions négatives pour prendre le pouvoir d’influence.
D’un point de vue psychologique, pour que des salariés se représentent comme faisant partie d’un groupe, ceux-ci doivent s’appuyer sur un imaginaire inconscient d’un collectif constitué pour protéger chacun. Cet imaginaire repose sur l’illusion que chacun malgré ses différences, est accepté à sa juste valeur. Ce phénomène psychique a pour fonction de faire face aux difficultés du travail et aux angoisses existentielles, notamment celle d’être seul. Cette dimension affective du groupe engendre des dynamiques relationnelles complexes de rejet-intégration, dont un leader implicite va s’emparer. Régulièrement, afin de resserrer les rangs, un bouc émissaire va être désigné. Il permet de mettre en avant les limites de ce qui constitue le groupe. Il y a « nous » et « lui » ou « eux ».
Mettez un agrégat de personnes sur une île déserte et vous retrouverez rapidement une structure sociale avec un leader ou plusieurs groupes en opposition du fait d’une guerre de chefs. Tout collectif a besoin de déterminer un chef afin de faciliter la prise de décision et limiter le risque de tension entre ses membres. Souvent précurseur, le leader est celui qui se positionne comme garant de l’illusion de groupe, voir son créateur. Ce statut de leader va lui permettre de créer les normes de groupes. Chacun pour s’intégrer au groupe est sommé d’obéir aux normes implicites : cadence, liens de coopération, rapport au management, ... La plupart des dirigeants ont connu un jour ou l’autre cette situation de devoir gérer l’influence d’un ou plusieurs leaders implicites sur le collectif de travail. Par expérience, j’ai souvent observé que plus les entreprises désinvestissent le champ social pour ne se concentrer que sur l’opérationnel, plus elles laissent la possibilité de création de leaders implicites qu’elles devront combattre par la suite.
Par ailleurs, lorsque le groupe connaît un fort niveau de stress, l’illusion de groupe peut s’effilocher. Les membres du groupe vont alors chercher à conserver l’équilibre du groupe en désignant l’ennemi intérieur responsable de cette rupture psychique. Si le leader implicite est en rivalité avec le directeur, il utilisera les failles managériales et organisationnelles pour le mettre dans la position du bourreau, pour in fine, transformer le directeur en bouc émissaire.
Quelles stratégies adopter dans le contexte actuel ?
Redevenir humain
La première consiste à redevenir humain parmi les humains en sortant d’un personnage de héros divin affrontant sans faillir les vagues de la difficulté. Ils convient par exemple de montrer sa vulnérabilité en parlant aussi de ses émotions, de montrer que l’on “mouille le maillot” et que l’on vient au contact des gens pour les soutenir et les reconnaitre. Cette stratégie repose sur 3 super pouvoirs : 1) la vulnérabilité qui suscite la connexion émotionnelle, 2) l’exemplarité qui légitime les demandes d’une personne et 3) le soutien social de proximité qui réduit le stress et l’anxiété et augmente la reconnaissance. Au fond, le dirigeant doit sortir d’une approche uniquement intellectuelle pour montrer son côté humain et émotionnel, par exemple en faisant preuve de compassion. Rien de honteux à parler de ses difficultés à faire face à une accumulation de situations complexes et épuisantes. Au contraire, c’est une autorisation à exprimer la vulnérabilité au travail ce qui de manière paradoxale renforce la sécurité psychologique dans le collectif.
Co-construire le changement
La deuxième consiste à vouloir travailler les changements avec une approche beaucoup plus dans la construction partagée. Les décisions sur le comment gérer le changement peuvent faire l’objet d’options pour permettre aux équipes d’avoir un vécu de contrôle sur la situation (je peux choisir). Il existe déjà suffisamment de zones de non-contrôle en ce moment pour se priver de cette bonne pratique. J’observe 2 approches qui ont plus d’inconvénients que de bénéfices : du 100% participatif ou chacun peut donner son avis, ce qui souvent polarise les débats, fait perdre beaucoup de temps et empêche une solution d’émerger. A l’opposé, du 100% descendant où tout est déjà décidé, ce qui entraine de la frustration et de la démotivation. Il peut être plus faisable et efficace de proposer 3 à 4 options de changement, notamment sur le où, comment, sur quoi, etc. Il est bien plus facile que ce que l’on pense de trouver des options de changement et ainsi d’augmenter le vécu de contrôle pour les salariés.
Une stratégie proactive de qualité de vie au travail
La troisième consiste dans le fait d’avoir une stratégie proactive de qualité de vie au travail permettant d’occuper un terrain qui pourrait tomber entre les mains d’influenceurs négatifs utilisant la colère sociale pour récupérer du pouvoir et favoriser de la destructivité. Pour beaucoup de dirigeants, cette dimension n’est pas la priorité en ce moment. Ils ont tort, car les frustrations et irritants organisationnels du quotidien sont un risque de contagion émotionnelle pour que l’entreprise bascule dans une sorte de défiance où la parole des dirigeants ne sera plus écoutée. Une stratégie proactive QVT consiste dans le fait d’établir un diagnostic organisationnel réel permettant d’établir les points de force et d’amélioration pour développer à la suite un plan d’action concret sur les conditions de travail et le climat social ; la régulation des situations individuelles et collectives à risque.
Soutenir la prise du recul managériale
La quatrième consiste dans le fait de créer des espaces d’élaboration, d’analyse et de préparation aux situations humaines difficiles pour soutenir et développer les dirigeants et les managers. Rien de pire que de gérer ce type de situation sans y être préparé. On fait avec ce que l’on est, en automatique, ce qui favorise les grosses erreurs de communication et entraine des situations d’hyper-conflit pour lesquelles il est bien plus difficile d’intervenir. Des sessions spécialisées de coaching individuel ou collectif, notamment entre pairs, permettent de prendre du recul sur ce qu’il convient ou pas de faire pour gérer des situations dégradées ou complexes, de pratiquer des mises en situations et de pouvoir bénéficier du retour d’expérience d’autres professionnels et collègues. C’est également un très bon outil de cohésion d’équipe pour favoriser l’esprit de communauté parmi les responsables. C’est enfin un signal fort de soutien et de reconnaissance au management.
Réguler l’impact émotionnel
La cinquième consiste dans le fait de pouvoir réguler ses émotions négatives et leurs impacts sur le corps et les comportements. Le fait de faire face à la projection négative du collectif n’est pas neutre. Cela induit des effets profonds sur le psychisme et le corps. Toutes les pratiques permettant de prendre soin de soi sont d’autant plus importantes dans ce type de situation qu’un niveau élevé de stress augmente les mauvaises décisions, les comportements agressifs qui réduisent la communication constructive ou les comportements d’évitement qui réduisent également la communication. Les bonnes pratiques peuvent être d’avoir un carnet de méditation pour poser ses ressentis sur le papier (cela stimule le lobe frontal, celui de la prise de recul), le sport, les activités créatives, les soirées entres amis, les pratiques alternatives comme la médecine chinoise, le fait d’avoir un coach de dirigeant d’expérience et reconnu (attentions aux charlatans même certifiés).
Matthieu Poirot
Expert en Qualité de Vie au Travail
Psychologue et Docteur en gestion
Dirigeant de Midori Consulting
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