mercredi 16 août 2023

Des risques psychosociaux à la performance durable



Dès 2018, une étude commandée par la Fondation Pierre Deniker indique que 1 français sur 5 (22%) au travail souffre d’une détresse psychologique pouvant orienter vers un trouble mental.  Cette fondation pour la recherche et la prévention en santé mentale tente ainsi de mettre en exergue l’enjeu de la prévention du risque psychique au travail et de développer le bien-être professionnel. Comme l’indique un rapport de Santé Publique France depuis 2015, les pathologies psychologiques au travail sont en nette augmentation.  

 

Le Danemark a légiféré sur la santé mentale du travail depuis 1975 ! Il ne semble pas que cela réduise son efficacité économique. Au contraire. …Dans une économie de la connaissance, basée sur l’innovation, la créativité et la conceptualisation, peut-on réellement considérer le bien-être des salariés comme quantité négligeable ? Au cours de nos entretiens,  nous sommes souvent surpris du lien systématique qu’un salarié fait entre son bien-être et son efficacité au travail.

 

Quelques définitions

 

Le stress survient lorsqu’une personne perçoit un déséquilibre entre ses ressources (personnelles, sociales, économiques,..) et les contraintes auxquelles elle doit faire face. Un déséquilibre prolongé augmente le risque anxio-dépressif, influence négativement la capacité d’adaptation et la productivité.

 

Les risques psychosociaux désignent les contraintes professionnelles pouvant influencer négativement la santé, l’efficacité et la productivité. Les plus courantes concernent la charge de travail excessive, le manque d’autonomie et de reconnaissance sociale, l’absence de perspectives de carrière, le manque de soutien social de qualité, les pratiques déviantes de management et les problématiques de violence et d’intimidation. 

 

Le bien être correspond à un état d’équilibre psychique permettant d’être productif, créatif et de s’adapter aux différents événements de la vie. Cet état nécessite que nous ayons plus d’émotions positives au quotidien que d’émotions négatives, une bonne estime de soi et un environnement social de qualité.

 

La qualité de vie au travail correspond à une démarche proactive et globale de l’entreprise, cherchant à éliminer les contraintes professionnelles, favoriser la santé psychologique des collaborateurs et promouvoir des pratiques saines de management. Ce type de démarche s’inscrit dans la durée avec une participation active de l’ensemble des acteurs de la santé (CSSCT, Direction, SST, assistante sociale, DRH, management,…) et des salariés.

 Il existe de nombreuses publications et études qui ont permis progressivement à la communauté scientifique et d’expertise d’identifier les principaux facteurs de risque. En les reformulant de manière positive, c’est à dire par la qualité de vie au travail, nous pouvons évoquer 6 fondamentaux pour le management : 

 

1.    Une bonne régulation de la charge de travail, ni trop peu, ni pas assez. Cela permet d’éviter l’épuisement ou l’ennui

2.    La clarification des rôles, responsabilités et priorités de chacun. Cela permet d’éviter les injonctions contradictoires et les conflits

3.    Donner une reconnaissance de qualité, symbolique, de carrière et financière. Cela permet principalement de garder les personnes motivées et d’éviter les dettes psychologiques

4.    Bien accompagner le changement, notamment en redonnant du pouvoir d’agir aux personnes. Cela permet d’éviter le sentiment d’impuissance qui pousse à la passivité

5.    Prévenir et combattre les comportements « toxiques », conflits, manques de respect, personnalités difficiles voire dangereuses qui nuisent à l’estime de soi des personnes

6.    Prendre en charge les personnes en fragilité personnelle ou professionnelle, par exemple lors d’un retour d’arrêt maladie comme un cancer ou un burnout, où lors de périodes de vie difficiles (divorce, deuil, maladie,…). Cela permet d’éviter la chronicisation de la détresse psychologique. 

 

 

Pause réflexive

En partant de ce tableau, quelles sont mes bonnes pratiques ?  Comment les conserver, voire les amplifier et les transmettre aux autres ? Qu’est-ce qui marche le mieux pour promouvoir la qualité de vie au travail ? 

 

Ces 6 fondamentaux sont très souvent malmenés en situation de changement et vont influencer le ressenti des membres de l’organisation, souvent dans un cercle vicieux : situation de changement qui fragilise les fondamentaux de la qualité de vie au travail, ce qui épuise et désorganise les personnes, ce qui entraine de la résistance au changement,…

 

Maintenir dans la durée ces fondamentaux sont nécessaires pour qu’une organisation puisse espérer délivrer un service ou un produit de qualité pour ses clients.  En croisant ces 2 dimensions de la performance et de qualité de vie au travail, il peut y avoir 4 situations potentielles :

 

 

Bonne

qualité de vie au travail

Manque de

 qualité de vie au travail

 

 

Bonne performance 

 

 

IV. Performance durable

 

 

 

I.              Risque de crise sociale

 

 

 

Manque 

de performance

 

 

II. Risque de crise économique

 

 

 

 

III. Risque de disparition ou de dilution

 

 

 

Dans la situation 1, il est observé une très bonne performance opérationnelle mais qui se fait au détriment de la qualité de vie au travail. Les personnes travaillent efficacement mais dans un contexte de mauvaises conditions de travail. Plus les personnes subissent ce contexte dans le temps, plus elles peuvent ressentir de la colère. Dans une première étape cette colère sera individuelle et cachée, puis progressivement celle-ci va s’exprimer et devenir collective. Le mécanisme prenant alors le relais sera celui d’une dynamique paranoïaque de groupe cherchant à trouver un ou des coupables à « bruler sur la place du village ». Ce mécanisme inconscient sert de régulation de l’émotion. Il existe alors un risque important de crise sociale pouvant s’exprimer par des grèves, des baisses de la productivité, une augmentation de l’absentéisme et du départ des talents, ou pire une série de suicides, parfois de nature « communicationnelle ». Les incidences de cette crise sociale peuvent entrainer des pertes fortes de compétitivité de l’entreprise et la mettre en crise économique, la poussant ainsi en situation 3. 


👉Voir : 


 

Au contraire dans la situation 2, l’entreprise peut se mettre en risque de crise économique car la qualité de vie au travail s’est faite au détriment de l’efficacité. Les personnes les moins motivées par le travail ont progressivement baissé les bras et ont trouvé tout un tas de stratagèmes pour limiter fortement leur travail. Le management est basé dans l’entreprise sur la pratique implicite de ne « pas faire de vagues ». Comme le manque d’efficacité n’est pas recadré, cela devient la norme de groupe et donc un phénomène collectif où les plus consciencieux se démotivent, partent ou vont être en burnout. Il en résulte une perte d’efficacité qui souvent n’est compensée que parce que l’entreprise est dans une sorte de monopole. Le jour où cette situation disparaît alors de grandes difficultés peuvent apparaître car l’entreprise n’est plus compétitive. Dans ce contexte, la direction prend souvent la décision radicale de « redresser la barre » avec des nouveaux managers beaucoup plus exigeants, voire agressifs, ce qui peut alors entrainer une crise sociale et pousser l’entreprise en situation 3. 

 

La situation 3 est l’association d’une crise économique et sociale qui peut mettre en péril l’avenir de l’entreprise. Malheureusement, beaucoup d’entreprises nous appellent dans cette période en nous demandant de faire de la « prévention »…Nous sommes plutôt sur des interventions de crise nécessitant de travailler sur 3 domaines en parallèle : l’organisation, le management et l’individu.  Il est très important dans ce type de situation de centrer l’intervention sur la gestion des conséquences et l’accompagnement des turbulences. La dynamique négative pouvant s’installer peut se réguler, à condition que la direction joue le jeu.

 

Idéalement dans la situation 4, nous cherchons à construire de la performance durable, c’est-à-dire l’intégration réussie entre la qualité de vie au travail et la performance opérationnelle. Or depuis 16 ans que nous observons les entreprises, nous avons noté que cette intégration n’est pas naturelle, qu’il faut une vision, des efforts et des bonnes pratiques pour qu’elle réussisse. Si les entreprises ne « pensent » pas la performance durable et n’ont pas de stratégie sur ce sujet, elles risquent un déséquilibre conduisant soit à la situation 1 ou 2, ce qui peut entrainer un risque global de situation 3. 

 

Pause réflexive

Avez-vous déjà connu des situations dégradées ? Quelles leçons en avez-vous tirées ? Quels liens selon vous entre qualité vie au travail et performance ?  Dans quelle situation se trouvent votre entreprise et vos collaborateurs ?  Quelles forces et opportunités dans cette situation ? 


Pour aller plus loin : 




Matthieu Poirot  (www.midori-consulting.com)

Psychologue et Docteur en Gestion

Expert en psychologie des organisations

Dernier livre : Développez votre leadership positif (Vuibert)


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