Une petite musique se développe à bas bruit dans les entreprises, celle d’une lassitude des collaborateurs, qui en dehors des structures syndicales traditionnelles, risque d’entrainer des mouvements de groupes prompt à exprimer lassitude et colère face à la situation pandémique.
Celle-ci est révélatrice, il est vrai, d’une certaine bipolarisation de la société. D’un côté des cadres, souvent supérieurs, pouvant être choyés dans un monde globalisé et digitalisé (« Globalia » pour reprendre la terminologie utilisée par J-C Rufin dans son roman du même nom) en télétravail et pouvant chercher un logement confortable dans les villes reliées au TGV. De l’autre, des salariés en présentiel, dont la valeur ajoutée devient moins compétitive dans ce monde et qui sont toujours plus dépendant d’un territoire (« Localia »).
Les DRH le savent, la rentrée 2021 va être très difficile car les perfusions sociales seront sans doute terminées et les effets sur l’emploi vont être très importants. Dans ce contexte, il est absolument nécessaire que les entreprises introduisent une véritable analyse psychosociale à la gestion RH.
Sentiment d’injustice dans l’inconscient collectif, lié à la bipolarisation de la société --> matérialisée de manière évidente par la pandémie --> colère et dettes psychologiques --> crise économique parallèle à un contexte tendu d’élection présidentielle --> dynamique destructive de l’inconscient collectif avec victimisation et recherche de bouc-émissaires.
Les théories conspirationnistes ont un énorme bénéfice secondaire pour les personnes qui y adhèrent : les faire se sentir supérieures aux autres. J'ai compris le complot = je suis spécial = préservation de mon estime de soi.
Dans un contexte de crise COVID 19 qui amplifie la bipolarisation de la société, donc un affaiblissement fort des classes moyennes, les personnes les plus à risque social voient leur anxiété existentielle augmenter : suis-je utile et désirable socialement ? Quelle est ma place ? Quelle justice ? Quel futur ?
Les effets : plus de paranoïa collective, plus de sectes, plus de dynamiques d'exclusions...
A chacun de se demander quel monde nouveau va sortir de cette crise. La question du sens de son action, de son engagement est essentielle. Mais pour s’engager, nous devons nous sentir en sécurité psychologique au sein du système relationnel qu’est l’entreprise. Tout système humain fonctionne pour rester cohérent sur 3 principes systémiques :
· Le temps : respecter l’histoire telle qu’elle est ; analyser le présent en commun et se projeter vers un futur désiré
· La place : que chacun puisse exprimer son potentiel dans l’inclusion et sans glissement de rôle
· La justice : que les mérites soient reconnus par des signaux sociaux symboliques, de carrière et de rémunération
Tout manquement à ces principes entraine des effets à la fois individuels et collectifs, comme dettes psychologiques (ruminations psychoaffectives que le système relationnel /famille/état/entreprise doit quelque chose pour un manquement à ces 3 principes) :
· Au niveau individuel, nous observons une augmentation du risque de burnout pour les plus engagés, ou au contraire un phénomène croissant de mercenariat (je ne fais que l’attendu sans plus) voire de présentéisme (je fais moins que l’attendu car je suis en mauvaise santé ou complétement désengagé) et pour les extrêmes, de la victimisation (je veux faire reconnaitre mes dettes psychologiques en entretenant une position systématique de victime).
· Au niveau collectif, les dettes psychologiques vont entrainer un ressenti collectif, souvent inconscient, que quelqu’un doit payer pour cette souffrance. Certains leaders implicites (non hiérarchiques, voulant avoir le pouvoir en attisant la destructivité) peuvent instrumentaliser à dessin cette dynamique pour se mettre en position de « héros protecteur » et pousser la « foule » à s’en prendre à des boucs émissaires. Les dettes psychologiques entretiennent une dynamique paranoïaque de groupe, où l’inconscient collectif a soif de vengeance. Cela peut être : la direction, voire les syndicats, « l’étranger », la femme…bref, la minorité permettant d’indiquer qui fait ou ne fait pas partie du groupe.
Ces effets peuvent être observés par :
· Une dégradation du climat de travail
· Une augmentation de l’absentéisme et du présentéisme
· Une crise de l’engagement et de la satisfaction au travail
· De la résistance forte au management et aux règles organisationnelles, ce qui peut entrainer des problèmes d’accident au travail ainsi que de performance
· Des conflits plus fréquents et plus intenses
· De la violence parfois
· Des clients moins satisfaits
· Des pertes et des vols plus fréquents
· Malheureusement, également des situations de détresse, voire des tentatives de suicide
Pour agir positivement sur cette dynamique, il s’agit de l’inscrire dans une transformation positive post-crise, en insistant sur une méthodologie collaborative (Ce que l’on nomme les approches Dialogiques du Développement Organisationnel). Cela peut être d’organiser des Forums Ouverts avec l’ensemble du personnel, en travaillant sur une démarche de transformation collaborative basée sur la co-construction. Les thèmes de dialogue peuvent être travaillés avec les séquences suivantes :
1. Honorer : Pouvoir raconter le vécu de manière collective, en construction de sens (sensmaking) par des ateliers de retour d’expérience : qu’avons-nous vécu ensemble, dans ce qu’il y a de fort et beau mais aussi de douloureux ? Qui a pu vivre une injustice ? Pourquoi ? Quelles sont nos racines et forces qui nous ont permis de surmonter cette crise ? Nos mérites ? De quoi pouvons-nous être fiers ?
2. Analyser : Faire une analyse stratégique partagée (une grande consultation) sur les menaces et opportunités du présent : quel sens donner à ce qui se passe, quelle réalité d’aujourd’hui ? Quels changements se produisent ? Pour quelles implications ? Quelles opportunités de déployer nos forces et ressources ?
3. Se projeter : Définir en co-contruction un futur désiré pouvant donner une motivation profonde sur l’utilité sociale et le plaisir : dans ce nouveau contexte, vers quel objectif voulons-nous allez ? Pour quels résultats visibles ? Qu’est-ce qui nous rendrait très fier de nous d’ici 5 ans ? Pour quelles valeurs fondamentales ?
4. Expérimenter : Quelles sont les actions que nous pourrions mettre en place dès maintenant pour aller dans le sens de nos objectifs ? Quels projets sur les X prochains jours ? Qu’est-ce qui marche déjà et que nous pourrions amplifier ? Qu’est-ce que l’on pourrait stopper ou limiter pour regagner du temps et de l’énergie ? Qu’est-ce que l’on peut tenter pour tester une autre manière de faire ?
Comment agir en parallèle sur les RPS ? Il est important de muscler dès maintenant son système préventif comme curatif :
1. Travailler ce sujet en CODIR avec une réflexion sur des indicateurs de suivi et la mise en place d’une stratégie managériale : quel type de management pour prévenir ou réguler ces phénomènes ?
2. Inclure ces thématiques dans votre cellule de crise. Accompagner les membres en gestion du stress mais également en dynamique psychosociale.
3. Définir une liste de conseils pouvant vous aider en cas de besoin : quels profils pour quelles situations ?
4. Former et accompagner massivement les managers en dynamique humaine au travail. Il est essentiel de soutenir cette population souvent en souffrance. Le co-développement reste un must pour cela.
5. Amplifier encore plus ses plans de prévention des risques psychosociaux, et ceci au niveau primaire, secondaire et tertiaire. Pour ce dernier, le soutien psychologique doit être de qualité, c’est-à-dire personnalisé, individualisé et suivi par le même consultant dans le temps.
6. Continuer de construire une dialogue social constructif avec les IRP, les syndicats. Ils sont essentiels comme agents tiers. En cas de difficultés, tensions, tout de suite enclencher une médiation sociale. Les inclure dans la co-construction de solutions.
Matthieu Poirot
Psychologue et Docteur en Gestion
Expert en Qualité de Vie au Travail
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire