On pourrait croire que le prestige d’un dirigeant/leader
provient de son intention de puissance. Cette hypothèse peut nous induire en
erreur, car en vérité, le prestige est toujours le fruit d’un croisement entre
un désir collectif de soumission à une figure idolâtrée servant de véhicule aux
projections collectives et la volonté de puissance d’un individu.
Tant que cet assemblage conserve son sens, notamment pour
lutter contre un « ennemi » extérieur au collectif, l’illusion pourra
rester constructive.
Mais dès lors que la situation se régule, ce prestige
conféré deviendra gênant pour le dirigeant/leader (le collectif ne le portant
plus) mais également pour le collectif. Ce dernier cherchera alors un
« remplaçant ». Peu d’individus lorsqu’ils sont dirigeants sont
capables de gérer cette relation particulière au collectif.
La cause
première est que plus quelqu'un accède à un poste de pouvoir plus son
personnage peut prendre le dessus sur la personne.
Ce mécanisme va entrainer une augmentation naturelle de
l'adaptation sociale au détriment de l’authenticité et de l’intégration réelle
de ses différentes facettes de personnalité. Il en résulte bien souvent une
augmentation du stress et des effets psychosomatiques (sauf pour les pervers)
que la personne risque de gérer en s'enfermant encore plus dans ce personnage.
Il existe une probabilité très forte qu'une personne mise
en position de diriger un collectif soit manipulée par l'inconscient collectif
pour devenir son "héros", entrainant ainsi la personne à s'approprier
comme venant de soi des qualités venant de l'extérieur. La personne peut aussi
chercher dans ce désir de l'inconscient collectif, la matière pour pallier ses
propres manques. L’inconscient collectif s’allie à l’Ombre du dirigeant, cette
partie de nous même où sont entreposées les parties que l’on ne se reconnaît
pas ou que l’on ignore.
Il en résulte une identification pleine et entière avec
son poste, empêchant la prise de recul et le détachement psychologique
sur les événements et réactions du collectif dirigé. Un poste
"prestigieux" peut proposer un masque derrière lequel l'on peut
cacher ses failles, manques et insuffisances ; compenser des désirs
inassouvis. Paradoxe: le
pouvoir entraine la cristallisation de ses défauts comportementaux car
l'entourage s'adapte, voire les manipule. Il en résulte une perte progressive
d'empathie et un gonflement de l'Ego au détriment du Soi.
Plusieurs recherches montrent que le fait de flatter son chef
a un impact très significatif sur sa carrière, mais en conséquence, ce dernier
s'enferme dans son personnage, ne progresse plus et devient moins performant au
niveau stratégique et managérial.[1]
Quelles conséquences ?
• Le dirigeant peut mettre en place un système relationnel
dysfonctionnel avec ses collaborateurs directs; son comité de direction.
Cette relation d'identification au collectif empêche les autres parties
de Soi de s'exprimer sauf à travers des projections, de rejet ou d'adoration, qui
limitent grandement les relations saines et efficaces. Un
dirigeant aura "comme par hasard" des personnes dans son
codir représentant des parties de Soi qu'il ne peut conscientiser (dans
l’Ombre) et développer pour lui-même; ce qui tissera les jeux psychologiques
dans la dynamique d'équipe. Les différentes personnes ne pourront
s'entendre car elles re-jouent, en partie, les conflits se développant dans
l'inconscient du leader. Ce phénomène est d'ailleurs possible même lorsque les
personnes n'ont pas été choisies par le dirigeant, et ceci par
l'activation de projections croisées avec le leader.
• Le burnout est aussi une conséquence de ce mécanisme
d'identification. Le dirigeant se met à risque par le fait d'être en permanence
dans une situation de jouer des comportements qui ne correspondent pas à ses
émotions réelles (dissonance émotionnelle), ce qui entraine un coût
psychologique et physique démesuré. Une autre conséquence est le sentiment de
solitude que cette "place" entraine: "A la fin, je porte la
responsabilité des décisions". Les effets peuvent être tardifs car en
premier lieu, ce mécanisme est aussi une défense pour ne pas questionner sa
psychologie, voire même pour nourrir une compensation d'un complexe
d'infériorité ou de supériorité. Il nous arrive régulièrement d'observer les
conséquences dramatiques de ce mécanisme sur la santé des
dirigeants, notamment en terme de crise psychologique mais également sur
la santé physique. Nous pouvons également constater que des dirigeants ayant
subis plusieurs accidents de santé graves continuent de vouloir conserver un
poste à responsabilité, même en dehors de besoins matériels, par peur de perdre
ce personnage compensatoire de l’inconscient personnel ou pour le dire
autrement, par peur de se retrouver. Nous pouvons avoir plus de loyauté à notre
personnage social qu’à nos désirs et besoins profonds.
Afin de prévenir ce mécanisme inconscient, individuel et
collectif, il convient d'accompagner les évolutions psychologiques chez le
dirigeant dans leurs prises de conscience des phénomènes d'enfermement
projectif. Pour être authentique et libre, la personne doit se libérer de
son personnage pour accepter ses limites essentielles et s’autoriser à être
soi-même, tout en conservant l'aspect fondamental et pilier de son rôle
social.
Quelques dimensions qui peuvent être utiles de travailler
en coaching sur l'équilibre du Soi :
dépendance--liberté
agressivité--douceur
adaptation sociale--authenticité
volonté--lâcher prise
rationalité—intuition
Il est particulièrement intéressant d'intervenir sur un
travail individuel avec le dirigeant, mais également sur un travail collectif
avec son équipe de direction. L'objectif sera de permettre une meilleure prise
de conscience de la dynamique relationnelle en jeux dans le Codir et les effets
pour l’efficacité et le bien-être de chacun.
Etudes de cas
Nous avons eu l’occasion de coacher un dirigeant devant accompagner une forte période de changement. D’un
caractère calme et ouvert celui-ci était un leader humaniste, pouvant également
être un peu trop intellectuel et distant émotionnellement. Ce dirigeant devait
faire face à de fortes tensions au sein de son codir ainsi qu’à une opposition
interne aux changements organisationnels prévus. Il finit par embaucher son
« contraire » comme second ; une personne agressive, orientée
vers la réussite, manipulatrice, bref, ressemblant au contenu de l’Ombre de ce
dirigeant. Celui-ci fasciné, lui laissa la « main libre », ce qui
conduit à une aggravation rapide de la situation.
Au sein d’un Comex d’un grand groupe, le PDG protège l’un
des dirigeants, en situation très délicate, grand intuitif mais désordonné,
l’opposé du PDG en type psychologique. Lors des prises de parole de ce
dirigeant, s’observe le regard fasciné du PDG. Au contraire, ce dernier ne
supporte pas un autre dirigeant pourtant moteur pour le collectif, mais ayant
un mode fonctionnement authentique très porté vers le lien. Ce PDG se sent
enfermé dans son personnage et n’ose plus en sortir. Il le lui fait payer.
Dans une équipe de direction les tensions sont nombreuses. Sur 9 personnes, 6 ne peuvent voir quelqu’un d’autre dans l’équipe. Comment le dirigeant de l’équipe a-t-il réussi à générer ce type de relations ? Nous travaillons en groupe sur la notion de projections croisées, qui permet une meilleure prise de conscience de la co-responsabilité de la situation et aide à réguler progressivement les conflits. En parallèle, nous accompagnons le dirigeant sur ses ambiguïtés, notamment sur son rôle de leader et l’intégration de son Ombre au Soi.
Nous accompagnons une dirigeante en coaching qui tout au
long de son parcours a toujours eu des postes difficiles où les équipes la
vivaient comme une sauveuse mais également une guerrière. Elle a déjà fait 2
burnout et vient de survivre à un cancer. Lors de nos discussions sur ses rêves et
à travers des jeux de rôle en groupe, nous identifions ensemble son désir
d’être également celle pouvant exprimer une plus grande fragilité et
féminité.
Ce travail de coaching permet de sortir du
mécanisme d’enfermement, de renforcer le Soi au détriment de l’Ego et ainsi de
favoriser un travail en équipe plus authentique, basé sur l’intelligence de Soi
et l’intelligence collective.
[1] Voir par
exemple : Park, S. H., Westphal, J. D.,
& Stern, I. (2011). Set up for a fall the insidious effects of flattery and
opinion conformity toward corporate leaders. Administrative
Science Quarterly, 56(2), 257-302.
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