Depuis de nombreuses années je visite la France du travail et je l’écoute. De mes différentes rencontres se dégage un constat faisant l’objet de cette série de notes : le marché du travail est de plus en plus exténuant, voir extrême tout en offrant plus de possibilités de réalisation professionnelle et personnelle. Face à ce constat contradictoire, les réponses semblent caricaturales : position victimaire versus position agentique.
La position victimaire
Souffrance au travail, stress, harcèlement, risques psychosociaux, les dimensions négatives du travail ne manquent pas dans la bouche et la plume des spécialistes. L’idée sous-tendue par leurs idées est que le travail étant pénible, l’employeur doit payer pour l’usure qu’il provoque chez ses salariés. Basé sur le principe du pollueur payeur, il paraît équitable que celui qui nuit à la santé d’autrui puisse en ressentir les conséquences.
Pour autant, ce principe poussé à l’extrême nuit également au travail. Le risque est grand de transformer tout salarié en victime. L’environnement de travail deviendrait alors un champ de bataille juridique dicté par un principe de précaution. Dans cet environnement, les émotions dominantes seraient la peur, la méfiance et la suspicion. Autre facteur à ne pas sous-estimer, le travail est de moins en moins salarié car une part importante du travail s’effectue dans le cadre d’une prestation de service, c’est à dire sous forme de contrat commercial. Le problème est qu’il paraît difficilement envisageable de faire cohabiter une logique commerciale et une logique victimaire dans le même contrat.
La sentiment d’être une victime est par ailleurs corrélé avec le sentiment de ne pas contrôler sa vie. Imaginons que la force de travail française soit persuadée qu’elle est la victime attendant réparation, quelle serait sa santé psychique dans le long terme ?
La position agentique
Au antipode de cette position, d’autres spécialistes insistent sur le fait que l’individu est toujours à l’origine de son malheur est qu’il doit en assumer la responsabilité. Le postulat au cœur cette idéologie est celui d’un marché du travail fonctionnant au mérite. Un individu voulant réussir sa vie professionnelle doit faire preuve d’efficacité et savoir se remettre en question lorsqu’il n’atteint pas les objectifs fixés par son entreprise. La santé du salarié dépend alors de la manière dont il gère ses différents capitaux (émotionnel, compétence, psychique, physique). Cette gestion de capitaux est portée par un impératif de réussite, voir de survie.
Le risque principal de cette vision est de focaliser l’attention de la force du travail sur ce que l’on attend d’elle, sans que se pose la question du sens. Or l’être humain est un animal compliqué car conscient de sa finitude. Cette différence induit que nous cherchons tout autant à survivre qu’à trouver justification à notre mort. Dans un contexte d’alitement des institutions religieuses, le travail ne peut à lui seul fournir un moteur suffisant. L’individu a également besoin de chercher un sens à son histoire. Cette recherche s’effectue par les liens qui se tissent au sein d’un collectif. Si ces liens se construisent sur une norme implicite, la capacité d’un individu à se retrouver en sera amoindrie. En fait, le processus agentique limite l’épanouissement individuel.
Pourquoi parler de résilience ?
Notre conviction est qu’il faut sortir d’une solution statique pour aller vers une solution dynamique alliant responsabilité sociale et individuelle. Nous partons de l’hypothèse suivant laquelle l’individu pourra rebondir dans son parcours professionnel à condition :
De développer des ressources latentes (potentialité)
D’ y avoir accès lorsque nécessaire (souci de soi)
C’est à cette équation que la résilience tentera de répondre en montrant comment l’individu peut y contribuer tout autant que son entreprise. Pourquoi le terme résilience plutôt que gestion du stress ? La résilience est la capacité à rebondir face aux événements extrêmes ou exténuants tout en restant authentique (processus non conformiste) . La gestion du stress est au contraire un processus d’ajustement soumis aux impératifs de la situation (processus conformiste ). La résilience impose une dose d’angoisse et de souffrance quand la gestion du stress suppose une dose de jouissance. Le risque est alors de développer un individu sous perfusion de la réalité. La résilience parce qu’elle oblige l’individu à élaborer sur sa souffrance permet de renforcer son autonomie par rapport à la réalité extérieure. Cette autonomie permet à l’individu de construire son unicité, de produire des innovations matérielles et immatérielles sources d’avantages compétitifs. C’est donc au cœur de la résilience individuelle que se trouve la créativité de nos entreprises. Plus encore, c’est elle qui garantit la souplesse de nos systèmes sociaux. La résilience individuelle est donc au cœur des enjeux de notre société moderne.
Matthieu Poirot
Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel
Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development
©Matthieu Poirot,2007-2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire