Le paradoxe de l'insignifiance : pourquoi nos sociétés hypermodernes génèrent-elles un sentiment universel de mépris et d'insignifiance sociale ?
Une analyse psychosociologique du malaise contemporain
Introduction : Le paradoxe contemporain du mépris social
Nous vivons un paradoxe inédit dans l'histoire humaine. Jamais nos sociétés n'ont offert autant d'opportunités théoriques d'épanouissement individuel, de mobilité sociale et de confort matériel. Les indicateurs objectifs montrent une diminution relative des inégalités dans nos sociétés développées - la France dépense ainsi 33% de son PIB dans le social, la classant parmi les champions européens du rééquilibrage social. Pourtant, jamais le sentiment de mépris social et d'insignifiance existentielle n'a été aussi répandu et profond.
Ce phénomène, que nous qualifions d'insignifiance sociale hypermoderne, constitue l'un des défis majeurs de notre époque. Il ne s'agit pas d'une simple nostalgie du passé ou d'un effet de loupe médiatique, mais d'une transformation structurelle de nos modes d'existence collective qui génère une nouvelle forme de souffrance sociale.
I. L'hypermodernité : une révolution anthropologique silencieuse
Les caractéristiques de l'hypermodernité
L'hypermodernité, concept que nous avons repris pour caractériser notre époque depuis 1990, se distingue radicalement des périodes précédentes. Là où la modernité industrielle valorisait le devoir envers la nation et la post-modernité la réussite professionnelle, l'hypermodernité impose une injonction à la singularisation comme nouveau contrat social.
Cette transformation s'articule autour de trois dynamiques fondamentales :
1. La bipolarisation sociale croissante
Notre société se divise de plus en plus nettement entre deux espaces socio-démographiques : Globalia et Localia. Les habitants de Globalia - travailleurs qualifiés, mobiles, connectés - bénéficient pleinement de la mondialisation cognitive. Ils évoluent dans l'économie immatérielle du savoir, maîtrisent les codes de la mobilité internationale et tirent profit de la révolution numérique. Aujourd'hui, 18% du PIB et 13% des emplois sont en lien avec les mathématiques, révélant l'ampleur de cette économie cognitive.
À l'inverse, les habitants de Localia demeurent dépendants des réseaux locaux et subissent les effets négatifs de cette bipolarisation. Cette fracture ne se limite pas aux inégalités économiques traditionnelles : elle crée une inégalité d'accès à la singularisation, nouvelle forme de stratification sociale.
2. La temporalité accélérée
L'hypermodernité impose un rapport au temps caractérisé par l'immédiateté, l'urgence et la compression temporelle. Cette accélération généralisée rend difficile la distinction entre l'essentiel et l'accessoire, fragmentant l'expérience humaine et empêchant la construction d'une continuité existentielle stable.
3. L'individualisation paradoxale
L'individu hypermoderne vit un paradoxe fondamental : hyper-individualisé en surface, il demeure profondément dépendant d'une vie organisationnelle intense. Il est pris dans un réseau dense d'organisations - de la naissance à la mort - sans toujours en avoir pleinement conscience.
L'évolution des régulateurs de l'insécurité existentielle
L'histoire humaine révèle une succession de mécanismes sociaux de régulation de l'angoisse existentielle fondamentale :
· Pré-modernité : Les pratiques religieuses offraient un cadre de sens transcendant
· Modernité : La morale laïque et patriotique structurait l'engagement collectif
· Post-modernité : La réussite professionnelle légitimait l'existence sociale
· Hypermodernité : La singularisation de soi devient l'unique voie de validation existentielle
Cette évolution pose un problème inédit : alors que les régulateurs précédents étaient collectivement accessibles, la singularisation demeure structurellement limitée à une minorité, créant une insécurité existentielle de masse.
II. Le mécanisme de l'insignifiance sociale hypermoderne
La rupture du contrat psychologique traditionnel
Dans l'hypermodernité, le contrat psychologique entre l'individu et la société se transforme radicalement. Ce contrat repose désormais sur un échange implicite : l'engagement généreux de l'individu contre une validation de la légitimité de son existence singulière. Le principe devient : « Je te légitime en tant qu'être unique / tu me légitimes en retour ».
Quand ce contrat n'est pas respecté, des dettes psychologiques se créent - une rumination psychoaffective née du sentiment d'avoir été instrumentalisé dans sa générosité. Ces dettes génèrent quatre effets majeurs :
1. Développement d'une pensée paranoïaque : « Le système ne veut pas que je réussisse »
2. Amplification des comportements dysfonctionnels : Repli sur soi, agressivité, victimisation
3. Décompensations psychiques : Anxiété, dépression, burn-out
4. Présentéisme toxique : Présence physique sans engagement réel et perte de productivité
L'insignifiance comme nouveau mal du siècle
L'insignifiance sociale se définit comme le sentiment de n'exister que comme masse indifférenciée plutôt que comme individu singulier, malgré un niveau de vie matériel satisfaisant. Ce phénomène constitue une source majeure d'insécurité existentielle dans l'hypermodernité.
Contrairement aux privations matérielles du passé, cette souffrance est plus difficile à identifier et à traiter car elle ne relève pas du manque économique mais du déficit de reconnaissance existentielle. L'individu ne manque pas de biens, il manque d'être socialement.
Le paradoxe de la singularisation
L'hypermodernité instaure un double mouvement contradictoire :
D'un côté, elle promet théoriquement à chacun la possibilité de définir sa vie selon ses envies subjectives, de développer son potentiel unique, de s'émanciper des déterminismes sociaux traditionnels.
De l'autre, elle limite structurellement l'accès à cette singularisation à une minorité disposant du capital culturel, économique et social nécessaire pour réussir dans l'économie cognitive mondialisée.
Cette contradiction génère une frustration existentielle de masse :
« Si je ne suis pas singulier, alors je ne réponds pas au contrat social permettant de réguler mon insécurité existentielle de base ».
III. Les mécanismes psychosociologiques du mépris hypermoderne
La théorie de la reconnaissance dévoyée
En s'appuyant sur les travaux d'Axel Honneth sur la théorie de la reconnaissance, nous pouvons comprendre comment l'hypermodernité pervertit les mécanismes traditionnels de validation sociale. Honneth identifie trois sphères de reconnaissance :
1. La sphère affective : Reconnaissance de la personne comme être digne d'amour
2. La sphère juridique : Reconnaissance comme sujet de droit égal aux autres
3. La sphère sociale : Reconnaissance de la contribution spécifique à la communauté
L'hypermodernité fragilise simultanément ces trois sphères :
· La sphère affective est atomisée par l'individualisation et la précarisation des liens
· La sphère juridique est mise en tension par la bipolarisation sociale
· La sphère sociale est monopolisée par l'exigence de singularisation
L'instrumentalisation généralisée
L'anthropologue Georg Simmel analysait déjà comment la modernité tendait à transformer les relations interpersonnelles en relations instrumentales. L'hypermodernité radicalise ce processus en étendant la logique instrumentale à la sphère existentielle elle-même.
L'individu hypermoderne fait l'expérience d'être traité comme un moyen (producteur, consommateur, électeur) plutôt que comme une fin en soi (être singulier digne de reconnaissance). Cette instrumentalisation génère le sentiment d'être « utilisé » par un système qui nie sa spécificité existentielle.
La paranoïa sociale comme défense
Lorsque l'insignifiance sociale perdure, les individus développent souvent des mécanismes de défense paranoïaques. Luigi Zoja, dans ses travaux sur la paranoïa collective, montre comment l'angoisse existentielle peut se transformer en cognition paranoïaque : la recherche systématique de responsables extérieurs à sa propre situation.
Cette dynamique explique en partie l'essor des théories du complot, du populisme et des mouvements de défiance généralisée envers les institutions. L'individu ne pouvant accepter son insignifiance développe une lecture systémiquement hostile de son environnement social.
L'exemple américain actuel illustre parfaitement cette dérive : la polarisation politique extrême, les phénomènes de « cancel culture », et jusqu'aux évocations d'une possible dans la presse de possibilité d’une « guerre civile » témoignent d'une société où les mécanismes traditionnels de régulation du conflit social ont été détruits par l'insignifiance existentielle de masse. Comme l'observe plusieurs intellectuels ; nous assistons à une fragmentation identitaire qui transforme chaque différend en guerre existentielle.
IV. Les symptômes politiques de l'insignifiance hypermoderne
La polarisation comme guerre de reconnaissance
Les phénomènes de polarisation politique extrême que nous observons aux États-Unis, en Europe et ailleurs ne relèvent pas seulement de divergences idéologiques classiques. Ils constituent des guerres de reconnaissance existentielle où chaque camp cherche à obtenir la validation de sa légitimité sociale en niant celle de l'autre. Ne pouvant obtenir une reconnaissance positive de leur singularité, les individus se rabattent sur une reconnaissance négative : exister en s'opposant, être quelqu'un en désignant un ennemi.
L'escalade de la victimisation concurrentielle
L'hypermodernité génère une économie de la victimisation où les groupes sociaux entrent en concurrence pour obtenir le statut de « plus opprimé », seul moyen d'accéder à une forme de reconnaissance sociale singulière. Cette dynamique pervertit les luttes légitimes contre les injustices réelles en les transformant en marchés de l'indignation où il s'agit moins de résoudre les problèmes que de capitaliser sur le malheur.
Cette escalade victimaire révèle l'ampleur du déficit de reconnaissance : faute de pouvoir être reconnu pour ce que l'on est, on cherche à être reconnu pour ce que l'on subit.
La démocratie mise en tension
La démocratie libérale, fondée sur le compromis et la délibération, se trouve déstabilisée par ces dynamiques hypermodernes. Quand chaque position politique devient un enjeu de survie existentielle, le dialogue démocratique devient impossible. Les « dettes psychologiques » collectives se cristallisent en blocs identitaires imperméables qui transforment l'espace public en champ de bataille.
V. L'organisation comme dernier refuge existentiel
Le transfert de légitimation vers l'entreprise
Face à la fragilisation des repères existentiels traditionnels (famille, religion, nation), les organisations deviennent paradoxalement le lieu privilégié où les individus cherchent à retrouver un sentiment de sécurité et de légitimité.
L'organisation moderne devient un système de légitimation qui doit répondre à trois besoins existentiels fondamentaux :
1. Le besoin de temporalité : L'organisation doit offrir une inscription dans le temps, une histoire et une projection dans l'avenir. Elle devient un des lieux centraux où l'individu peut construire une continuité existentielle face à l'accélération générale.
2. Le besoin de justice : L'organisation doit garantir une reconnaissance équitable des mérites, permettant à chacun de sentir que sa contribution est valorisée selon des critères transparents et légitimes.
3. Le besoin de place : L'organisation doit clarifier les rôles et assurer l'inclusion de chacun dans un projet collectif porteur de sens.
L'échec organisationnel et ses conséquences
Quand les organisations ne parviennent pas à remplir cette fonction de légitimation existentielle, elles génèrent des dynamique humaines dysfonctionnelles qui se manifestent par :
· Des dynamiques paranoïaques de groupe : théories du complot organisationnel, recherche de boucs émissaires, disqualification collective et exclusion
· Des comportements défensifs amplifiés : rigidification, victimisation chronique,
· Une perte de la capacité de dialogue : Impossibilité de construire des compromis constructifs
· Un présentéisme toxique : Présence contrainte sans engagement authentique ni productivité
Comme nous l'avons formulé : « Lorsque les organisations sont malades, c'est toute la société qui tousse ».
VI. Vers une régulation de l'insignifiance hypermoderne
Les limites des approches classiques
Les approches traditionnelles de régulation du malaise social s'avèrent inadéquates face à l'insignifiance hypermoderne :
1. Les approches redistributives se heurtent au fait que le problème n'est pas principalement économique mais aussi existentiel.
2. Les approches thérapeutiques individuelles ne peuvent traiter un phénomène structurellement social.
3. Les approches nostalgiques (retour aux valeurs traditionnelles) ignorent l'irréversibilité des transformations anthropologiques contemporaines.
Pour saisir pourquoi ces approches classiques échouent, il faut d'abord comprendre les mécanismes que ce contexte active, notamment nos schémas mentaux permettant de contenir nos angoisses concernant l’insignifiance sociale. Un schéma ontologique est la façon dont une personne organise inconsciemment sa réalité pour réguler son angoisse existentielle fondamentale. C'est son « mode d'emploi »personnel pour se sentir exister et avoir de la valeur.
Le piège du pouvoir : comment l'angoisse renforce les travers des leaders
Exemple concret : Un dirigeant qui a grandi dans une famille où il fallait être parfait pour être aimé développe le schéma : « Je n'existe que si je contrôle tout et que tout est parfait ». Ce schéma devient sa prison dorée.
Quand une personne accède au leadership, son schéma ontologique se trouve amplifié par le pouvoir. L'entourage s'adapte, flatte, confirme ses biais. Résultat : le leader s'enferme dans ses travers comportementaux.
Le processus en 3 étapes :
1. Identification au poste : « Je suis mon rôle » → Perte du recul critique
2. Inflation de l'Ego : « Mes réussites viennent de mes qualités exceptionnelles »
3. Enfermement : L'entourage ne dit plus que ce que le leader veut entendre
Les leaders sous pression génèrent l'insignifiance qu'ils prétendent combattre.
Une intervention systémique à quatre niveaux
La régulation de l'insignifiance hypermoderne nécessite une intervention coordonnée sur quatre niveaux interdépendants - sociétal, organisationnel, groupal, individuel- articulée autour de trois axes stratégiques fondamentaux :
· Axe 1 : Contenir l'angoisse existentielle des leaders
· Axe 2 : Accompagner différemment les transformations
· Axe 3 : Réduire l'influence des leaders implicites et destructifs
1. Niveau sociétal
Au niveau macro-social, l'intervention doit viser à créer de nouveaux cadres de régulation de l'insécurité existentielle qui ne reposent plus exclusivement sur la singularisation individuelle :
Sur l'axe 1 (leaders institutionnels) : Former les dirigeants politiques et institutionnels à la reconnaissance de leurs propres schémas ontologiques anxieux qui les poussent vers des solutions autoritaires ou démagogiques. Développer des mécanismes de régulation du pouvoir qui empêchent l'enfermement dans des logiques de domination.
Sur l'axe 2 (transformations sociétales) : Repenser les politiques publiques pour qu'elles intègrent la dimension existentielle des transformations. Mettre en place des « amortisseurs existentiels » lors des grandes mutations (transition écologique, révolution numérique) qui préservent la continuité temporelle et la dignité sociale.
Sur l'axe 3 (leaders implicites sociétaux) : Identifier et contenir l'influence des « entrepreneurs de ressentiment » qui capitalisent sur l'insignifiance sociale pour alimenter la polarisation. Développer une les compétences d’analyse qui limitent la propagation des dynamiques paranoïaques collectives.
2. Niveau organisationnel
Les organisations doivent redevenir des espaces de régulation de l'insécurité existentielle plutôt que des amplificateurs d'insignifiance :
Sur l'axe 1 (dirigeants) : Accompagner les dirigeants dans la prise de conscience de leurs propres dettes psychologiques et schémas ontologiques qui les conduisent à reproduire des logiques d'instrumentalisation. Mettre en place des dispositifs de régulation du pouvoir exécutif qui empêchent les dérives narcissiques ou paranoïaques.
Sur l'axe 2 (conduite du changement) : Développer une méthodologie de transformation organisationnelle qui intègre systématiquement la dimension existentielle. Chaque changement doit s'accompagner d'un travail de préservation des repères temporels, de clarification des enjeux de justice et de redéfinition des places.
Sur l'axe 3 (leaders informels toxiques) : Identifier les « leaders implicites » qui utilisent l'insécurité collective pour asseoir leur influence destructrice. Développer des contre-pouvoirs organisationnels qui neutralisent ces dynamiques sans tomber dans la répression.
3. Niveau de groupe
Les collectifs de travail constituent le niveau pivot où se joue concrètement la régulation des tensions existentielles :
Sur l'axe 1 (managers de proximité) : Former les managers à la détection et au traitement de leurs propres angoisses existentielles qui les conduisent vers des comportements de micro-management, de contrôle excessif ou de fuite dans l'activisme. Développer leur capacité à « contenir » psychiquement l'angoisse collective de groupe.
Sur l'axe 2 (dynamiques collectives) : Mettre en place des rituels et des processus de groupe qui permettent l'élaboration collective des transformations. Créer des espaces de régulation émotionnelle qui évitent l'accumulation de dettes psychologiques collectives.
Sur l'axe 3 (régulation des influences toxiques) : Développer la capacité collective à identifier et neutraliser les dynamiques de bouc émissaire, les propagateurs de rumeurs et les « entrepreneurs de conflit » qui parasitent la coopération.
4. Niveau individuel
L'individu doit développer ses propres ressources de régulation existentielle pour ne pas être uniquement dépendant de la validation externe :
Sur l'axe 1 (schémas personnels) : Accompagner le développement d'une « sécurité ontologique » personnelle qui permet de tolérer l'incertitude sans tomber dans l'angoisse paralysante ou les mécanismes de défense paranoïaques.
Sur l'axe 2 (adaptation au changement) : Développer les compétences psychologiques nécessaires pour naviguer dans l'hypermodernité : tolérance à l'ambiguïté, flexibilité identitaire, capacité de sens-making dans l'incertitude.
Sur l'axe 3 (résistance aux influences toxiques) : Renforcer les défenses psychologiques individuelles face aux « entrepreneurs de ressentiment » et aux dynamiques collectives régressives.
Conclusion : vers une société de la reconnaissance existentielle
Le sentiment universel de mépris et d'insignifiance qui caractérise nos sociétés hypermodernes n'est pas une fatalité. Il résulte d'une transformation anthropologique profonde qui impose une injonction à la singularisation tout en limitant structurellement l'accès à cette singularisation.
La régulation de ce phénomène passe par une révolution de nos modes d'organisation sociale et économique. Il ne s'agit pas de revenir en arrière, mais d'inventer de nouveaux modèles de reconnaissance existentielle qui articulent :
- L'aspiration légitime à la singularité avec la nécessité de la coopération sociale
- L'efficacité économique avec la dignité existentielle
- L'innovation permanente avec la continuité temporelle
- La performance individuelle avec la solidarité collective
Cette transformation nécessite une prise de conscience collective de l'enjeu existentiel qui se joue dans nos organisations et nos sociétés. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : permettre à chaque être humain de sentir que son existence a une valeur et un sens, non pas malgré sa singularité, mais grâce à elle, dans le cadre d'un projet collectif qui la reconnaît et la valorise.
L'insignifiance sociale n'est pas inscrite dans l'ordre naturel des choses. Elle est le produit de nos choix collectifs. Elle peut donc être transformée par de nouveaux choix, plus conscients et plus humains.
L'enjeu dépasse largement le monde du travail : il s'agit de préserver la possibilité même du dialogue démocratique face à la fragmentation identitaire et à la polarisation existentielle qui menacent nos sociétés. Les organisations, en tant que derniers espaces de régulation sociale, ont une responsabilité historique dans cette transformation.
Car comme nous l'avons établi : quand les organisations sont malades, c'est toute la société qui tousse. Et quand toute la société tousse, c'est la démocratie elle-même qui risque de s'éteindre.
CONCEPTS CLÉS
HYPERMODERNITÉ : Période contemporaine caractérisée par l'accélération de la logique libérale, la valorisation de l'individualisme entrepreneurial et l'injonction à la singularité.
INSIGNIFIANCE SOCIALE : Sentiment de n'exister que comme masse indifférenciée plutôt que comme individu singulier, source majeure d'insécurité existentielle.
DETTES PSYCHOLOGIQUES : Blessures relationnelles non reconnues qui fragilisent l'engagement et génèrent des dynamiques dysfonctionnelles.
BIPOLARISATION SOCIALE : Division croissante entre « Globalia » (bénéficiaires de la mondialisation cognitive) et « Localia » (populations territorialement ancrées).
CONTRAT PSYCHOLOGIQUE HYPERMODERNE : Échange implicite entre engagement généreux et validation existentielle singulière.
APPROCHE CONTEXTUELLE INTÉGRATIVE : Méthodologie d'intervention articulant les dimensions temporelle, de justice et spatiale pour réguler les tensions psychosociales.
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