vendredi 1 août 2014

Intervenir sur les risques psychosociaux dans l’industrie : retour d’expérience

Le secteur industriel doit faire face en France à de nombreuses évolutions propices aux risques psychosociaux :

  • Un recul de l’emploi industriel au profit des pays à bas coûts salariaux, phénomène amplifié par la crise et  qui conduit à de nombreux PSE
  • Des réorganisations permanentes à 3 niveaux : des changements statutaires (vente et revente entre fonds financiers, changements d’actionnaires principaux, changement de dénomination, de sièges sociaux,…),  la mise en place régulière de nouvelles techniques de gestion (lean management, kaisen, etc…), l’instabilité générale des équipes de direction
  • La précarisation du travail par le recours massif au travail intérimaire, aux CDD et au chômage partiel
  • Un éloignement progressif des centres de décisions par internationalisation
  • Un fonctionnement matriciel complexifié par une organisation visant l’optimisation fiscale et l’agilité organisationnelle sur plusieurs lieux géographiques
  • Un sous investissement chronique dans l’appareil productif compensant les faibles taux marges des entreprises Françaises par rapport à leurs concurrentes, notamment Allemandes
  • Un discours médiatique massif autours du déclin, n’apportant aucun espoir d’amélioration pour les acteurs du monde industriel
  • Avec le codéveloppement, l’accélération de la sous-traitance internalisée où le management gère parfois plus de sous traitants que de salariés de son entreprise
  • Une population ouvrière parfois paupérisée et sur endettée, basée sur des bassin d’emploi peu prometteurs


Sur le terrain, nos différentes études montrent une intensification du travail pour chacun, du patron d’usine à l’opérateur non qualifié. Par ailleurs, la perte de sens est massive. Premier paradoxe : alors même que les nouvelles méthodes de gestion ne cessent de s’appuyer sur l’engagement psychologique, le projet d’entreprise ne devient que financier. Or nous ne travaillons par pour améliorer l’excédent brut d’exploitation (EBE) sur le bilan mais pour fournir un travail de qualité dans un cadre respectueux de sa contribution et de son intégrité physique et morale.

Le dialogue social se tend car les syndicats ont l’impression, souvent réaliste, que le directeur d’usine ou le DRH n’ont pas de pouvoir réel. La confrontation semble la seule possibilité de se faire entendre par le groupe auquel appartient l’usine. Bien sur, certains syndicats ont une culture de la confrontation naturelle, mais le contexte y est pour beaucoup dans ce dialogue social dégradé. De plus, le « stock de patron d’usine » expérimenté n’a cessé de baisser ; de nombreux directeurs sont de jeunes cadres parachutés de postes fonctionnels et appliquent un mode gestion rigide, basé sur les chiffres. Ils s’appuient eux-mêmes sur des équipes de jeunes ingénieurs peu formés aux subtilités du travail réel et de la sociologie industrielle.  Par ailleurs les cadres issus des grandes écoles sont quasiment exclusivement des enfants de cadre. Aucune mixité sociale n’est présente dans les écoles, surtout pour les plus prestigieuses où le niveau d’anglais exigé ne peut être acquis que par un enseignement extrascolaire renforcé et couteux.

Avec un tel contexte, tout art du compromis et du dialogue autours du travail est impossible. Le repli sur soi devient la règle pour conserver son emploi, pour se protéger. Les syndicats ont souvent du mal à canaliser l’extrémisme ayant tendance à se développer dans les nouvelles générations d’opérateurs.  Mais voilà ; la complexification des méthodes de travail implique plus que jamais le travail en collectif ; de plus avec une forte dimension de coopération.

Il résulte de cette situation des conflits importants au sein des équipes :
  1. Au sein des équipes de direction : chacun cherche à se protéger des nombreuses injonctions contradictoires générées par un système matriciel. Chaque directeur est dans l’impossibilité de réaliser tout à fait ses objectifs. Ils se vivent comme toujours en défaut, en sursis. La pression issue des centres de décision est massive et souvent à la limite de la maltraitance.
  2. Entre la direction et les managers de proximité qui se sentent non suffisamment impliqués dans les décisions de changement alors qu’ils doivent les faire mettre en œuvre par les collaborateurs.
  3. Entre les chefs d’équipe et les opérateurs qui désirent plus d’autonomie pour décider de comment bien faire le travail. Les chefs d’équipe restent en position de « contremaitre » chargés de contrôler le respect de procédures souvent ressenties en décalage avec le réel et qui envahissent l’espace de créativité des opérateurs. Le travail n’est pas mis en débat.
  4. Entre collègue car chacun veut garantir son emploi et les « résistants » au système s’opposent aux « conformistes ».


Autre paradoxe donc du milieu industriel actuel : le contexte favorise l’individualisme, le repli sur soi, la conflictualité ; quand les objectifs de travail nécessitent la qualité du collectif et le dialogue.

Dans un tel contexte, intervenir sur les risques psychosociaux dans l’industrie est un chemin semé d’embuches.  

Il existe 2 approches dominantes qui chacune ne font que renforcer ces différentes problématiques :

  1. Une approche « patronale » cherchant à aseptiser le débat par la mise en place d’un discours hygiéniste consistant à former les managers à la détection des personnes à risque, former à la gestion du stress et mettre en place des numéros verts pour prendre en charge les personnes en souffrance. Le rapport de force avec les syndicats est combattu par une stratégie de détournement
  2. Une approche syndicale visant à multiplier les expertises CHSCT pour faire ralentir le rythme des changements et utiliser la loi pour mettre les directions en position de réparation vis-à-vis de situations pathogènes de travail. Le rapport de force avec le patronat est combattu par une stratégie de l’affrontement juridique

Bien souvent, le salarié est spectateur désabusé de cette opposition sociale stérile.  Les extrêmes politiques n’ont qu’à prospérer et le désespoir s’installer. Par ailleurs, ces 2 approches pourtant chronophages et couteuses, n’ont pas de résultats sur la santé des salariés, et n’empêchent pas les tensions sociales de redescendre.

Le constat est qu’aucune de ces 2 approches ne cherche à construire l’efficacité de l’organisation sur la qualité de vie au travail. Sur cet objectif, une troisième voie est possible.  Pour se faire, le débat favorisé par l’intervention d’un tiers extérieur doit permettre de répondre à 4 questions :

  • Quel est le réel vécu des salariés : les problèmes, les conséquences ?
  • Quelles sont les solutions proposées par les salariés ?
  • Quel compromis social pour l’implémentation d’un véritable plan d’action ?
  • Quel mode d’organisation du travail permettant de sérieusement faire participer les salariés à leurs conditions de travail ?
  • Comment concilier santé de tous et efficacité ?

Pour répondre à ces 5 questions, il convient d’installer quelques conditions favorables :

  • Faire un diagnostic de qualité permettant de manière scientifique et participative de déterminer les problèmes et solutions
  • Construire des dispositifs de dialogue social respectueux du CHSCT mais permettant l’innovation sociale au détriment du « travail en chambre »
  • D’impliquer dès le début de la démarche le management de proximité comme faisant partie de la solution
  • Faire participer les sous-traitants à la démarche
  • Equilibrer les plans d’action sur l‘organisation du travail, les pratiques de management, l’accompagnement des salariés en difficulté, le renforcement des collectifs de travail
  • Mettre en place des dispositifs de remonté spontanée des problématiques de QVT et des bonnes pratiques
  • Mettre en place des indicateurs de suivi des plans d’action 

De manière plus globale, le monde de l’industrie a intérêt à investir dans la formation du management, des directions générales aux dirigeants d’usine, dans la mise en place de pratiques saines de management. L’objectif est de combiner intelligemment protection du bien-être des salariés et renforcement de l’efficacité.

  • Réguler la charge de travail
  • Développer l’autonomie
  • Favoriser la reconnaissance
  • Accompagner l’impact humain des changements
  • Réguler les comportements irrespectueux
  • Favoriser le lien social et les collectifs de travail
  • Accompagner le retour et la réhabilitation au travail


De mon expérience dans de grands groupes industriels, ce type de formation est très bien accueilli, à condition que le contenu soit porteur de solutions concrètes.


©Matthieu Poirot, 2014

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