lundi 2 septembre 2013

Sur quoi repose le sentiment d’injustice des Français ?


Si aucun système socio-économique n’est parfait, le sentiment d’injustice est très fort dans notre pays, et ceci bien avant la crise. Comment l’expliquer ?

Nous sommes l’un des pays les plus égalitaire au monde (voir le coef de Gini : http://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini).  Une grande partie des revenus est redistribuée par l’état. Alors comment expliquer le sentiment d’injustice ? Sans doute la culture française est-elle fortement basée sur le principe d’égalité (même rétribution à poste équivalent, et quelque soit le résultat) opposé au principe d’équité (rétribution individuelle en fonction de la contribution).  Or, ce dernier principe, plus anglo-saxon, devient progressivement la norme mondiale des rémunérations. Ce phénomène accélère l’écart de revenu en haut de la pyramide sociale (les 0,01%).  Pour autant, chez nous, les différences sont beaucoup moins importantes que dans d’autres Pays. Ainsi, aux Etats Unis, entre 1950 et 2005, le revenu détenu par les 1% de ménages les plus riches est passé de 11% à 17,5%. En France, cette part a diminué… Par ailleurs, dans notre pays, le taux de pauvreté est de 13,1 % pour une moyenne de 17% en Europe (source OCDE). Nous sommes donc globalement plus égalitaires que beaucoup d’autres pays, tout en étant de plus en plus insatisfaits du manque de justice !

Les recherches sur la justice organisationnelle montrent que lorsque les salariés ne sont pas satisfaits du revenu, cette perception peut s’appuyer sur 2 autres dimensions, que sont la justice procédurale (les critères d’attribution de la rétribution, le fait d’avoir la possibilité de s’exprimer) et interactionnelle (la manière dont le management présente et accompagne avec respect et dignité, la rétribution). Le problème Français repose sans doute, non sur le montant du revenu, mais sur la manière dont est attribué ce revenu (justice procédurale et interactionnelle).  Dans une culture hiérarchique, verticale, telle que pratiquée en France, les dirigeants sont-ils suffisamment transparents et participatifs sur la forme et la communication autours de la rétribution ? Comment assurer un dialogue social de qualité, autours de ces questions, lorsque seule une minorité des Français, travaille dans des grands groupes (27%, source INSEE) ? De nombreux observateurs relatent régulièrement les difficultés de notre modèle social.  Les points négatifs seraient :
  •  Une élite d’héritage, éloignée des préoccupations du « petit peuple ».
  • Une grande conflictualité dans le dialogue social.
  • Une injustice distributive s’effectuant non sur le revenu mais par le capital.
  •  Un ascenseur social en panne, associé à un sentiment de dégradation des conditions de vie. 
  • Un système scolaire inefficace, donnant la chance aux enfants de l’élite, pouvant passer par les écoles privées.
Au delà de ce tableau noir, les Français semblent satisfaits de leur vie : une étude de l’INSEE montrent que sur une échelle allant de 0 (pas du tout satisfait) à 10 (tout à fait satisfait), ils cotent 7 sur 10, en moyenne. L’insatisfaction semble avant tout professionnelle. Les études montrent que les Français sont les plus insatisfaits de leur vie professionnelle, dans le monde Occidentale. Par exemple, le Baromètre Ipsos/Edenred 2012 montrent que 40% des salariés sont démotivés. Cependant, 86% se disent « heureux dans leur travail » et « fiers de leur travail ».  Le salarié Français aime son travail mais pas la manière dont il se sent traité : comment supporter une culture professionnelle hiérarchique, basée sur des différences individualisées de traitement, lorsque l’on aspire à une relation de travail plus participative, basée sur une égalité collective de traitement. Par ailleurs le fort pourcentage de licenciés à la cinquantaine, accentue l’idée d’un modèle social injuste, basé sur la seule rentabilité ; sans prise en compte de l’ancienneté. Ancré dans une culture de la compétence (« skill society »), le monde du travail, notamment pour la classe moyenne, peut avoir le sentiment d'une reconnaissance de la personne faisant défaut. Alors même que nous sommes enclins à exiger le maximum en position de client, le salarié moderne est consommé pour ses compétences, sans prise en compte de ses projets et désirs en tant que personne dans l'entreprise[1]. Dans une situation de standardisation et de précarité des parcours, c'est avant tout la dimension de la subjectivité qui est mise de coté. Il y a là un mécanisme structurel de négation de l'histoire et des projets des individus.  Cette norme conduit à un désengagement subjectif permettant de se protéger.

En synthèse, nous pouvons faire l’hypothèse que le sentiment d’injustice provient du décalage entre une norme professionnelle d’équité, individualiste, basée sur la contribution ;  avec un désir social, d’une relation professionnelle plus participative, égalitaire, basée sur la considération de chacun.

Matthieu Poirot

Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel 

Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development 


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©Matthieu Poirot,2007-2016.




[1] Le Professeur Richard Sennett évoque la différence entre potentiel et bilan. Il explique ainsi « En lieu et place du métier, la culture moderne avance une idée de méritocratie qui célèbre le potentiel plutôt que le bilan. » dans Sennett, R (2006), La culture du nouveau capitalisme, Hachette littératures, collection pluriel.

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