samedi 9 janvier 2010

Le bien être au travail: un nouveau contrat psychologique

Plus qu’éviter le trouble, préserver la santé psychologique des salariés est essentiel dans l’économie moderne. Depuis les années 1990, les grandes entreprises se sont lancées dans un mouvement sans précédent de restructuration et de fusion-acquisition leur permettant d’augmenter leurs profits.


Les propres fondateurs de ce mouvement, Michael Hammer et James Champy, ont eux-mêmes admis que ce mouvement a négligé le « facteur humain ».

En réalité, ce mouvement général a progressivement brisé l’ancien « contrat psychologique » reliant le salarié à l’entreprise. Cet échange implicite a longtemps reposé sur un rapport de réciprocité entre de la sécurité financière (un salaire) et sociale (un rôle professionnel) d’un côté, et une certaine loyauté ainsi qu’une haute productivité du coté de salariés. Or dans un contexte de restructuration, de fusion et d’externalisation, l’entreprise n’est plus pourvoyeuse de sécurité. Elle prétend offrir au mieux, une certaine employabilité. Il y a passage d’une « protection passive » à une « sécurité active » où chacun doit maintenir ses compétences pour rester désirable sur le marché de l’emploi. Pourtant, la réalité des chiffres du chômage démontre les limites de l’employabilité. Ce système loin de fonctionner en Europe, n’a pu empêcher la monté du sentiment d’insécurité et de déclassement, même pour les travailleurs les plus qualifiés .

Chacun sait qu’au fond c’est le niveau de salaire qui va en grande partie déterminer l’intérêt de l’entreprise à recruter tel ou tel profil. Pour répondre à une concurrence mondialisée, les organisations cherchent à obtenir le plus haut niveau de qualification pour le plus bas niveau de salaire possible. Dans un marché de l’emploi à 9% de chômage en moyenne depuis 20 ans, la concurrence entre travailleurs s’est accélérée et tend à se durcir. Cette incertitude quasi-permanente alimente un fort sentiment de précarité et d’usure mentale.

Pourtant la nature des défis qui se pause aux entreprises nécessite encore d’avoir un haut degré d’engagement des salariés. L’un des papes du management, Peter Drucker évoquait déjà l’avènement d’une économie basée sur une nouvelle classe de travailleur sensées développer le seul capital valable dans la nouvelle économie : la connaissance. Aujourd’hui ces travailleurs du savoir représentent une partie toujours grandissante des salariés des grandes entreprises. Dans des industries telles que la pharmacie, l’informatique, les médias et l’expertise comptable ou le conseil, ces salariés représentent jusqu’à 25% ou plus de l’effectif. Ce sont eux qui innovent et développent du savoir consommé par ces grandes entreprises. Ils permettent aux entreprises de se renouveler et de s’adapter aux changements rapides et imprévisibles de l’environnement économique. Les activités capitalistiques les plus dynamiques se concentrent dans les entreprises ayant fondé leur stratégie sur la connaissance et l’expertise individuelle. En un sens, la seule valeur ajoutée d’une entreprise se fonde non sur la flexibilité, l’adaptation ou l’innovation mais sur sa capacité à « produire des talents ».

Dans un monde d’abondance et de mondialisation, les consommateurs, souvent pressés et exigeants, sont devenus de plus en plus volatiles. Comment les fidéliser si ce n’est par le degré d’engagement des collaborateurs ? Quel actif serait plus important pour la réussite d’une organisation ? Chaque entreprise se bat pour capter et conserver de l’attention. La ressource rare de notre époque est de trouver du temps. Le nouveau consommateur est donc exigeant mais avant tout impatient. Comme la montré Herbert Simon, les réponses des consommateurs ne sont pas des réponses optimales (posséder toute l’information) mais satisfaisantes, c'est-à-dire des adaptations séquentielles au coup par coup. Dans un monde obéissant au culte de l’urgence, l’attention est limitée et chacun va avant tout chercher des réponses satisfaisantes à son problème immédiat. Généralement, dans cette nouvelle économie tertiaire, c’est le comportement du salarié qui va déterminer le niveau de satisfaction du client plus que le produit. Imaginons quelques exemples de consommateurs pressés

1. Marc est chef d’entreprise et désire acheter une voiture de société. Il appelle un concessionnaire d’une marque et celui-ci lui parait un « peu mou ». Il décide finalement d’appeler un autre concessionnaire car il craint de perdre du temps.
2. Isabelle est cliente chez un opérateur téléphonique. Elle appelle pour une difficulté sur son portable. La personne au bout du fil ne semble pas comprendre son problème et le ton monte rapidement. Elle raccroche en se promettant d’aller vers un autre opérateur.
3. Clément est un manager projet qui travaille dans le développement de technologie informatique. Il a fait appel à une entreprise de sous-traitance pour développer une puce électronique de son projet mais il n’est toujours pas livré. L’ingénieur responsable du produit est tombé malade. Le projet semble vraiment mal engagé.

Voici l’un des paradoxes important de notre époque : l’entreprise infidèle à ses salariés n’a jamais eu autant besoin de les engager psychologiquement.

• Plus d’engagement pour contribuer à la qualité des produits et des services
• Plus d’engagement pour contribuer à la réputation de la marque
• Plus d’engagement pour continuer à se former et à apprendre
• Plus d’engagement pour offrir sa créativité à l’entreprise et la partager dans le collectif

Mais dans ce contexte que peut attendre le salarié de son entreprise ? Sans doute qu’elle réponde à son engagement par un environnement de travail de qualité lui permettant de préserver équilibre de vie et bien être. Chacun le sait, une carrière plus longue et complexe serra nécessaire pour les générations actuelles. Dans un monde de précarité, les talents d’aujourd’hui et de demain feront de plus en plus leurs choix de carrière et les efforts que cela nécessite sur la capacité de l’entreprise à leur apporter du bien être au travail. Il est tout naturel de vouloir préserver un maximum son capital santé pour continuer à s’adapter aux contraintes professionnelles. Beaucoup d’entreprises commencent à l’entendre et affichent vouloir devenir un employeur socialement responsable ; devenir un employeur de choix. Derrière ces discours, les directions générales délèguent fréquemment cette question aux seules ressources humaines et ne prennent que partiellement la mesure du changement nécessaire. Il existe même une véritable tendance à répondre à cette demande par un contrôle accru des comportements.

La logique financière du seul résultat obscurcie la réalité de l’entreprise. Dans un monde d’émotion et de « guerre des talents », le résultat financier est nécessaire mais non suffisant. L’enjeu est d’arriver à coupler bien être et efficacité. Ce changement n’est pas simple et un certain nombre de signaux faibles semblent indiquer que le blocage reste la norme. C’est sans doute que face à cette volonté de gérer le stress et le risque psychosocial, l’entreprise doit modifier ses fondamentaux, en adoptant d’autres pratiques organisationnelles et managériales. Pour cela, elle devra faire progresser son système et développer un certains nombre d’innovations afin d’obtenir un environnement exceptionnel de travail.

Matthieu Poirot

Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel 

Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development 


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©Matthieu Poirot,2010-2016.

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