vendredi 12 avril 2019

Manager par les motivations profondes


Pour rester rengagé, en lien social et dans le plaisir, nous devons en permanence nous remettre en question et retrouver des défis positifs, mais ils doivent aussi reposer sur une motivation non superficielle, basée sur un sens le plus profond possible. 
3 niveaux d'investissement émotionnel au travail existent. Nous pouvons le vivre comme :
  • un emploi : ne chercher d'autre avantage que la paie à la fin du mois. 
  • une carrière : la réussite s'exprime par le salaire mais également par la promotion (obtenir un poste supérieur au fur et à mesure)
  • une vocation : un engagement émotionnel fort à travailler par plaisir et pour un intérêt supérieur. Nous sommes ici proche de la mission personnelle. 
Les différentes recherches montrent que[1]
1.    la vocation apporte des émotions positives même dans un environnement difficile 
2.    même un travail prestigieux tel que médecin, peut se transformer psychologiquement en emploi 
3.    même des emplois moins valorisés (ex: femme de ménage) peuvent se transformer psychologiquement en vocation 
4.    des conditions de travail difficiles extrêmes et/ou  récurrentes peuvent supprimer la vocation
Comment trouver sa vocation ?  Il est intéressant de se rappeler l’étymologie du de ce mot en latin : vocatus, c’est à dire « appelé ». La vocation renvoie donc à un mode auditif d’un message venu du fond de soi.  La vocation est ce qui fait de nous un être unique en équilibre entre ce que l’on est et ce que l’on fait. 

Peut-on la choisir ? Il ne semble pas, car en fait si certain tombent dans l’ennui ou l’angoisse au travail ou dans la vie, c’est souvent car ils résistent à cet appel profond. Il semble que notre liberté repose plutôt dans le fait d’écouter et de suivre cet appel.  Victork Franckl, le psychologue du sens, affirme en effet, que loin d’inventer sa vocation, nous ne faisons que la découvrir, au fur et à mesure de notre maturité psychique.  Souvent les personnes décrivant une vocation utilisent des termes à connotation religieuse : dévotion, sacré, pureté, communion, sacrifice, indiquant que le sens de la vocation est un sens spirituel.

Il est par ailleurs intéressant d’observer que les personnes en vocation au travail sont aussi celles qui rendent le plus de service à la communauté, tant l’énergie engendrée est positive. Plus on apprend à s’écouter et s’aimer plus on peut donner aux autres. 

Bien entendu, l’environnement de travail joue également. Lorsqu’il est toxique, trop fermé, prescriptif, matérialiste, et le système de management basé uniquement sur l’argent, la sanction ou la réussite sociale. Il faut reconnaître qu’il est plus difficile d’écouter ses motivations profondes dans un tel contexte. Je suis donc intimement persuadé que les  milieux du travail suscitant le plus d’engagement sont ceux permettant aux personnes de pouvoir s’écouter et adapter le travail à leur individualité propre. J’observe pourtant tous les jours des personnes arrivant à définir une raison d’être au travail même dans les environnements les plus contraints. Pourquoi ? Entendre l’appel en soi donne une énergie découplée permettant de surmonter les obstacles, mais également de définir une ligne de conduite claire à son travail. Le manager peut avoir un rôle de passeur dans ce processus lorsqu’il accompagne et oriente ses collaborateurs.

Il existe plusieurs niveaux de motivation allant d’une motivation contrôlée par l’environnement (éviter les sanctions, la honte, obtenir un gain) à une motivation dite autonome car interne à la personne (trouver du sens, le plaisir de l’activité).  Un manager peut maitriser le niveau de motivation et notamment le système de motivation contrôlée, ce qui signifie qu’il est capable de donner des sanctions, du recadrage et des gains. Par contre, un manager n’est pas capable de déclencher la motivation autonome. Son rôle est plutôt de la favoriser et de l’entretenir.  

Pour obtenir les meilleurs résultats et le meilleur niveau de bien-être de ses collaborateurs, un manager doit partir des motivations internes.

Un système de management basé sur la motivation externe est beaucoup moins efficace aujourd’hui car les collaborateurs sont de moins en moins présents visuellement (télétravail) auprès des managers. Par ailleurs, on constate dans les entreprises que les niveaux hiérarchiques diminuent, y compris dans l’industrie. En conséquence, le nombre de collaborateurs par manager augmente. Il devient donc quasi-impossible de faire un management basé uniquement sur le système bâton-carotte ou pire sur du micro-management. 

La motivation interne est la forme de motivation qui conduit le mieux à de la satisfaction au travail et au bien-être. Plusieurs actions peuvent entraver cette forme de motivation :

1.   Récompenser matériellement quelqu'un en motivation interne.Par exemple Sophie est une technicienne qualité très impliquée dans un travail qu’elle aime et qui a beaucoup de sens. Alors qu’elle s’attribue l’intérêt de son travail, lorsqu’elle commence à être récompensée par une prime Sophie va faire un lien mental entre travail et récompense ce qui va la faire passer en motivation externe (je fais pour la prime). Les niveaux d’intérêt et d’effort au travail vont maintenant dépendre d’une prime. Autre exemple, chez les athlètes de haut niveau, on retrouve souvent un fort niveau de motivation intrinsèque (la passion) jusqu'à ce que la personne gagne et gagne beaucoup d’argent (ex : les jeux olympiques). Après cette victoire, certain vont alors tomber en motivation externe (je continue pour la récompense et la gloire) ce qui se traduira alors par une baisse de la performance. Ce phénomène existe aussi pour les comportements altruistes (motivation par les valeurs).  Par exemple, une recherche[2]a présenté le don de sang suivant 3 modalités : bénévole, rémunérée, ou rémunérée mais avec la possibilité de pouvoir donner cet argent à une association.  Les groupes 1 et 3 ont donné leur sang à hauteur de 50 % tandis que le groupe rémunéré l’a donné à seulement hauteur de 30%. Au lieu d’augmenter le pourcentage de don de sang, la rémunération l’a baissé. 

2.   Faire des menaces de punition.Même si l’on ne le dit pas toujours ouvertement, le management est rempli de menaces. Nous pouvons en identifier 2 principales : le perte socio-économique et la honte sociale. La perte économique repose sur la peur de perdre son emploi (le licenciement), une prime ou une opportunité d’évolution. La honte repose sur le fait d’être mis en position publique de sous-performance. Cette comparaison sociale entraine la représentation qu’il existe des perdants et des gagnants, ce qui renforce l’anxiété et les émotions négatives. Les menaces de punition vont entrainer chez la personne un évitement du risque par conformisme (je fais pour être dans la moyenne) ainsi qu’une focalisation de l’énergie sur la justification de son travail (je me trouve des excuses) ou de réguler la peur (je fume, je bois, je fais beaucoup de poses pour ventiler mes émotions négatives auprès de mes collègues) plutôt que d’agir par plaisir de travailler. Résultats : un perte d’engagement, d’énergie positive et de d’initiative. Par ailleurs, la menace suppose que le management suive fortement le travail de ses collaborateurs, ce qui amplifie sa charge et augmente la méfiance avec ses collaborateurs. Beaucoup de micro-management est nécessaire avec ce système. Pire encore, certain pour éviter la sanction vont être prêts à tricher.  Chez un garagiste, les techniciens avaient ainsi pris l’habitude d’effectuer des interventions non nécessaires sur le véhicule afin d’atteindre un objectif minimum de chiffre d’affaire. Le manager comparait tous les mois les « bons », « aux résultats » et « exceptionnels », avec une prime comme incitation. La concession automobile connue de graves soucis financiers car les clients avaient fini par comprendre cette sur-facturation.  

3.   Être trop précis dans la manière de faire le travail. Il est sans doute plus efficace de laisser un collaborateur pouvoir avoir de l’autonomie sur la manière de réaliser le travail. Lorsque tout est imposé sur la manière de faire le travail une personne y trouvera moins d’intérêt et de sens. Il se focalisera sur le respect de la règle au détriment du résultat. Les règles ne sont pas une mauvaise chose en soi mais elles doivent être intériorisée pour être comprises et efficaces.  Si le manager fixe des règles « rigides » trop précises, alors il empêche ses collaborateurs de se les approprier, ce qui facilitera des comportements déviants et de rébellion. Par ailleurs, encore une fois cela augmentera le besoin de micro-management afin de surveiller si les personnes font précisément ce qui est prévu. Cela augmentera également le fait de devoir proposer un système de récompense-punition pour contrôler les comportements, sachant que l’effet diminue avec le temps (habituation hédonique) et qu’il est donc nécessaire d’augmenter les primes et salaires au fur et à mesure. Enfin ce système empêche l’innovation, qui repose sur le fait de pouvoir agir par essais-erreurs. Ce point est très important car l’innovation est un levier principal pour la réussite d’une entreprise. 

En réalité, lorsque  les personnes sont récompensées, menacées, surveillées ou évaluées, elles ont le sentiment de se voir imposer un comportement, ce qui contribue largement à diminuer le sentiment d’autonomie. A contrario, lorsqu'elles gardent la capacité de choisir, elles en éprouvent un sentiment accru d’auto-détermination, et ce partant, une plus grande satisfaction[3].

Cela paraît simple mais dans la réalité, les dirigeants et DRH d'entreprises ont souvent peur de perdre la confiance des salariés et réagissent  plutôt suivant un désir accru de manipulation et de contrôle par motivation externe. Il en résulte une résistance et une plus grande méfiance de la part  des salariés.

Etude de cas

Dans une entreprise spécialisée dans la vente d’appareils de conditionnement de produits surgelés, les résultats commerciaux ne sont pas au rendez-vous. Le directeur commercial s’en inquiète et cherche à comprendre ce qui se passe. Les commerciaux semblent perdre en motivation. Pourtant de bons résultats peuvent conduire à une prime importante sur les ventes. Le directeur commercial décide d’augmenter cette prime mais les résultats ne sont toujours par au rendez-vous, pire ils baissent encore. Lors de formations auprès des managers de commerciaux, il remonte que le point de blocage principal provient du fait qu’effectivement les règles de travail sont devenues tellement pointues et les reporting sur le travail tellement nombreux que les commerciaux ont perdu tout sentiment d’autonomie « On n’en peut plus de ce micro-management » me dit l’un d’eux. 

 La direction commerciale pour faire face aux objectifs ambitieux du groupe avait depuis 2 ans mis en place de nombreux outils de suivi, sensés améliorer le résultat. Tout le contraire s’est produit et lorsque l’entreprise a commencé à favoriser l’autonomie des collaborateurs, les résultats se sont mis à être meilleur. Moins de temps à manager, moins d’argent dépensé en primes et plus de résultats : une belle équation n’est-il pas ?

Par ailleurs, les salariés, attachés au principe de récompense-punition peuvent prêter une attention peu soutenue à leur motivation interne. La charge de travail et le manque d'autonomie limitent les possibilités d'être dans le souci de soi c'est-à-dire dans la reconnaissance et l’affirmation de son désir. 

Voici quelques tactiques qu’un manager peut utiliser pour favoriser la motivation intrinsèque : 

1.    Développer le droit à l’erreur.  Toute personne de bonne foi, doit pouvoir expérimenter l’erreur afin de se concentrer non sur l’évitement de la sanction mais sur l’apprentissage. Le droit à l’erreur va de pair avec une culture de l’innovation et de la créativité. Plus la marge d’erreur est importante plus une personne pourra se focaliser sur l’action et partira de sa motivation interne. On peut ainsi dédramatiser la prise de risque pour en faire une occasion de sortir de sa zone de confort. Attention cependant à se donner une limite. 3 erreurs sur le même sujet indiquent un problème à réguler. Une erreur est une information à partir du moment où elle mène à de l’amélioration. Il est également intéressant de permettre au collaborateur de pouvoir prendre régulièrement des initiatives en définissant une zone de risque. Peut-être également est-il utile de ne pas trouver systématiquement les solutions pour la personne et de l’aider ainsi dans sa prise d’initiative. 

2.    Favoriser la responsabilisation.La meilleure manière de favoriser de la motivation profonde est de permettre aux collaborateurs d’agir en autonomie avec des rôles et limites clairs. De plus en plus d’entreprises encouragent et développent la responsabilisation, notamment par la mise en place d’équipes semi-autonomes où les « coéquipiers » ont un droit à l’initiative. Le management fixe des objectifs mais ce sont les collaborateurs qui définissent en partie la manière de travailler. Ce système fonctionne si la personne se sent complètement responsable du fruit de son travail, avec les succès mais aussi les difficultés. Cela nécessite aussi que le management soit très clair sur ses attentes et puisse faire confiance.

3.    Aider la personne à identifier et conserver ses moments de flow. Le leader a un rôle particulièrement important pour favoriser les états de flux. Il peut principalement aider la personne à identifier ce qui fait sens et défi pour elle. Une action possible de coaching des collaborateurs consiste dans le fait de les aider à favoriser ce phénomène par quelques questions bien placées : qu’est-ce qui l’anime ? Quelles sont les actions au travail où il oublie le temps,  où il se sent complètement entrainé dans son travail ? Comment peut-il les conserver, voire les amplifier ? Je vous suggère également d’encourager en parallèle les projets, formations, évolutions qui permettent de sortir régulièrement de sa zone de confort tout en restant dans des limites acceptables d’adaptation. 

4.    Impliquer les collaborateurs dans la définition d’objectifs.Rien de mieux pour permettre une motivation internalisée que de permettre aux collaborateurs de pouvoir co-construire leurs objectifs. Il s’agit d’aider la personne à identifier ce qui fait sens et défi pour elle et de comprendre ensemble les micro-ajustements possibles pour rendre le travail plus intéressant. Par ailleurs, il convient d’aider le collaborateur à déterminer cet objectif de manière positive Par exemple il est bien plus anxiogène de se donner comme objectif de perdre du poids que de mieux manger. Le manager peut se positionner dans une posture d’accompagnement et poser des questions pouvant porter sur : pourquoi t-elle objectif ? En quoi s’inscrit-il dans le cadre de ton rôle, de ton parcours d’entreprise ? Comment en faire un objectif SMART : Spécifique, Mesurable, Accepté, Réaliste et Temporalisé ? 

Observez les managers heureux. La plupart ont comme secret de s’être fixés un objectif de ...management. Non celui du résultat mais celui de développer ses collaborateurs, de les accompagner, de transmette un savoir-faire, des valeurs, de les rendre autonomes, etc. Il faut un projet de vie managériale pour aimer ce rôle si difficile. Le faire uniquement pour le statut social et par besoin financier ne sont pas des moteurs suffisants pour tenir dans la durée.



Matthieu Poirot

Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel 

Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development 

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©Matthieu Poirot,2007-2027. 




[1]Voir les travaux de Amy Wrzesniewski : https://som.yale.edu/faculty/amy-wrzesniewski
[2]Mellström, C et Johanneson, M (2008), « Crowding Out in Blood Donation : Was Titmuss Right ? » Journal of the European Economic Association, vol 6,n°4, p 845-863.
[3]Deci, E. L., et Ryan, R. M. (2000), « The ‘what’ and ‘why’ of goal pursuits: Human needs and the self-determination of behavior.»,Psychological Inquiry, vol 11,p. 227–268. Voir également l’ouvrage de Pink Daniel H ( 2013) , La vérité sur ce qui nous motive. Leduc Editions : Paris.

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