jeudi 26 septembre 2013

Comprendre et prévenir le burn out


Mathilde est un manager que j’ai rencontré dans un programme haut de gamme sur le développement de l’entreprenariat ; au sein de l’une de nos grandes écoles de management. 


J’y animais un séminaire sur la psychologie de l’entreprenariat, dans lequel les participants avaient la possibilité d’avoir une séance de coaching. Elle s’y est inscrite. Au cours de notre discussion, elle indique vouloir apprendre à travailler avec moins de stress. Puis elle vient à décrire plusieurs problèmes physiques et psychologiques. En réalité, Mathilde décrivait avec précision de nombreux symptômes d’épuisement professionnel.

Cas pratique
Je suis devenue manager il y a 2 ans. J’ai toujours beaucoup travaillé, aussi bien soit à l’école qu’en entreprise. Il me paraissait normal d’en être récompensé. Je suis bien évidemment très heureuse des responsabilités qui m’ont été confiées, mais depuis 4 mois, je n’y arrive plus. J’ai même eu une sorte de mini évanouissement, il y a 2 semaines lors d’un weekend avec des amis. Mon médecin me dit que c’est mon corps qui est épuisé. C’est vrai que j’ai souvent des maux de têtes et j’ai de plus en plus de mal à dormir. En plus, et c’est nouveau, je n’accorde plus d’attention aux autres. J’ai vraiment du mal à avoir de l’intérêt pour les membres de mon équipe. Je ne suis plus que dans l’action. Au fond, je me demande si je suis faite pour le métier de manager. Mon mari me trouve d’humeur triste et effacée.

En 1974, le psychothérapeute et psychiatre Herbert Freudenberger publie la première étude sur le syndrome d’épuisement professionnel. Il reprend un terme souvent utilisé par les avocats newyorkais pour décrire le stress : le burnout (brûlure interne). Très rapidement, le terme devient à la mode, faisant écho à la montée du stress au travail et au phénomène d’épuisement professionnel. Les premiers chercheurs considèrent l’épuisement professionnel comme une problématique touchant prioritairement les professionnels investis dans des relations d’aide : professions médicales, travailleurs sociaux, enseignants. Ceux – ci doivent s’engager fortement émotionnellement alors même qu’ils leur arrivent régulièrement d’échouer à résoudre les problèmes de leurs clients. Le travail d’aide s’ancre souvent dans un déséquilibre entre les exigences élevées du professionnel lui-même, et les moyens réels dont il dispose. Ce déséquilibre exigences/moyens, associé à un fort engagement, constitue le facteur clef de l’épuisement professionnel.

Ce contexte professionnel n’est pas spécifique aux métiers d’aide, et, progressivement, la notion de burnout s’élargie jusqu’à concerner toutes personnes au travail. Les recherchent les plus récentes à ce sujet, souligne que l’épuisement professionnel apparaît dans toutes les activités nécessitant un fort engagement psychologique. En effet, ces formes d’activités épuisent progressivement les ressources mentales, émotionnelles et physiques du professionnel concerné. En résumé, nous pouvons définir l’épuisement professionnel comme un état général de fatigue physique et mentale, survenu suite à un très haut niveau d’engagement dans le travail, maintenu trop longtemps.

Il existe trois signes cliniques caractéristiques de l’épuisement professionnel :
  1.       L’épuisement émotionnel: manque d’énergie
  2.       La dépersonnalisation: incapacité de s’intéresser à autrui
  3.       Le dés-accomplissement de soi: dévalorisation de son travail
Les symptômes d’épuisement professionnel s’installent progressivement en plusieurs étapes, dépendamment du niveau d’engagement. Nous distinguons 5 étapes :

  1.      L’engagement idéalisé : la personne a des attentes extrêmement élevées sur son travail. Elle consacre toute son énergie à l’atteinte des objectifs qu’elle s’est fixée.
  2.       Le choc de la réalité : viennent alors les premières désillusions, où l’individu prend conscience du manque de moyens ou d’une réalité plus complexe qu’escomptée. Le professionnel est alors déstabilisé mais persiste dans l’investissement total de son énergie pour atteindre ses objectifs.
  3.       Le plateau : le décalage entre l’engagement et la réalité est à son comble et la personne vit une tension psychologique maximale. Elle ressent une dissonance cognitive intense, à savoir, une incohérence entre ce qu’elle est en mesure de réaliser et ce qu’elle pense et ressent. L’énergie commence à diminuer.
  4.       Le désengagement : afin de gérer la dissonance cognitive, la personne réduit son engagement et se distancie de l’atteinte des objectifs. Elle diminue l’énergie qu’elle investit au travail et ressent fréquemment des émotions négatives telles le cynisme, la frustration ou l’irascibilité.
  5.       Le mal-être : ayant consommée toutes ses ressources, la personne ressent une grande perte d’intérêt pour son travail et l’impossibilité de s’intéresser à autrui, y compris à son entourage. Elle se dévalorise personnellement et commence à douter de sa valeur et de ses compétences. La colère, la culpabilité et l’anxiété deviennent les émotions dominantes.
L’épuisement professionnel va avoir des conséquences multiples pour la personne :
  •      Sur le plan physique : fatigue généralisée, troubles digestifs, nausées, maux de dos, problèmes de peau, maux de tête, infections virales persistantes, déséquilibres hormonaux, insomnies chroniques, hypertension, rigidité musculaire, perte ou prise importante de poids.
  •     Sur le plan émotionnel : irascibilité, angoisse, colère, frustration, culpabilité, impatience, désespoir.
  •     Sur le plan intellectuel : perte de concentration, incapacité à réaliser des calculs simples ; distraction, difficulté à prendre des décisions, confusion, perte de mémoire.
  •     Sur le plan comportemental : évitement, agressivité, dépendance à des substances euphorisantes (alcool, drogue), comportements à risque, accidents.

Quels sont les facteurs de risques ? Ils sont identiques aux facteurs de stress que l’on retrouve au travail. Nos divers entretiens nous ont permis de mettre en exergue :
·  
  •        Une charge de travail trop élevée, y compris sur le plan intellectuel et émotionnel.
  •        Le manque de temps pour bien faire son travail.
  •        Le manque de moyens humains, financiers et matériels pour réaliser correctement son travail.
  •        Un manque de reconnaissance du travail et des efforts. Seul le résultat est pris en compte dans l’évaluation.
  •        Un collectif de travail dégradé où chacun travaille dans son coin, par désintérêt de l’autre ou par compétition entres collègues.
  •         Le manque d’accompagnement humain par le management.
  •         Une stratégie peu lisible, empêchant de comprendre sa contribution à l’organisation.
  •        Des clients agressifs, voir irrespectueux.
  •        Un manque de formation pour évoluer professionnellement. 

Une analyse de synthèse permet de mettre en évidence deux éléments sur lesquels reposent ces facteurs de risques: le travail empêché et le manque d’échange collectif sur le travail.
  •       Le travail empêché repose sur l’idée que nous avons tous une vision de ce qu’est le travail bien fait. Lorsque la situation de travail nous empêche de développer les pratiques que nous considérons comme bonnes pour le travail, notre engagement est mis sous tension car nous devons le freiner. Une partie de notre potentiel personnel est mis sous clef.
  •    L’échange collectif sur le travail nous permet d’ajuster notre vision du travail avec les autres. L’échange permet par ailleurs de partager ses soucis, et donc de ne pas s’en sentir propriétaire. L’échange collectif permet notamment l’expression de son vécu du travail, avec des personnes qui sauront comprendre les contraintes professionnelles mises en cause. L’appréciation de l’ingéniosité des solutions trouvées collectivement est d’autant plus satisfaisante.
Un contexte de réduction d’effectifs et de budgets est fortement propice à l’augmentation du travail empêché et la diminution des temps d’échange collectif. Ce sont souvent dans les organisations pauvres, c’est à dire faisant face à une demande surpassant leurs capacités financière (ex : une association, un hôpital), que les phénomènes d’épuisement professionnel sont les plus importants.

Un facteur de risque supplémentaire doit faire l’objet d’un intérêt particulier : le perfectionnisme. Cette problématique est grandissante dans notre vie professionnelle moderne. Lors de discussion, en Europe, en Amérique du nord ou au Proche et Moyen-Orient, l’un des obstacles, fréquemment cité par les dirigeants, est celui de confondre performance et perfectionnisme. Au cours de mes missions, j’ai progressivement pris conscience que le perfectionnisme reste un mécanisme à la fois culturel, organisationnel, managérial et individuel, qui favorise le plus l’épuisement professionnel et le manque de performance.

La recherche définit ce trait comportemental, comme étant la motivation à atteindre des standards irréalistes de réussite. La représentation de la réussite se dessine en tout ou rien : succès complet/ échec total. Cette vue manichéenne du monde induit la peur de conséquences importantes, dans le cas où l’objectif ne serait pas entièrement atteint. Il en résulte une obsession du détail et une peur de la punition, pouvant conduire finalement à l’évitement de la prise de risque.

De manière générale, un contexte qui ne permet pas d’équilibrer l’investissement psychique au travail, accroit le nombre des personnes en souffrance, de ne pouvoir travailler correctement. 

Quels sont les chiffres ? Il n’existe pas à proprement parler, d’étude nationale sur le phénomène d’épuisement professionnel. La plupart des études font le lien entre des facteurs de stress et un indicateur de santé mentale. Cependant, depuis plus de 10 ans que j’interviens sur ces sujets et après de nombreuses discussions avec des professionnels de la santé et de la prévention, des RH, des psychologues cliniciens, des coachs, des salariés et des délégués du personnel ; je peux estimer qu’à peu prêt 15 % des salariés impliqués dans une profession stressante peuvent souffrir d’épuisement professionnel. Chez les populations à risque, j’estime que le pourcentage peut monter jusqu’à 30%.

Il existe néanmoins certains traits de personnalité susceptibles d’amplifier l’épuisement professionnel. En réalité, cette problématique ne peut survenir que si le terrain personnel est favorable, car l’implication émotionnelle au travail reste modulable. Nous pouvons retrouver 4 caractéristiques communes aux personnes à risque d’épuisement professionnel :

  •    En moyenne, elles ont autour de 25-35 ans et doivent équilibrer les premières responsabilités avec le début de la vie de famille. Elles vivent pour la première fois une double montée en charge pour laquelle elles doivent faire des choix.
  •        Elles confondent leur identité personnelle avec leur identité professionnelle.
  •       Elles sont portées vers l’action et ont du mal à s’y soustraire pour clarifier leur désir.
  •       Elles sont souvent perfectionnistes et ont du mal à renoncer ou dire non.

Ce profil psychologique se retrouve fréquemment chez les hauts potentiels de l’entreprise. Ce sont souvent des jeunes personnes brillantes, au parcours impeccable et qui doivent apprendre à gérer l’incapacité à tout faire. Cette situation les oblige à trouver l’équilibre entre trois questions fondamentales :

  1.       La question du devoir correspond aux différentes responsabilités, incluent dans les différents rôles de la vie : professionnel, familial, amical, personnel.
  2.       La question du vouloir correspond à la clarification progressive des désirs et intentions, qui découlent elles mêmes du système de valeurs propre à chacun et des expériences de vie.
  3.       La question du pouvoir correspond à l’analyse de la situation d’ensemble afin de déterminer ce qui peut être contrôlé et ce qui ne l’est pas. Il s’agit des marges de manœuvre potentielles propres à chacun.
Comment accompagner quelqu’un en burnout ?
  •       De manière générale, il convient déjà de créer un lien de confiance avec la personne afin de pouvoir évoquer avec elle son vécu du travail
  •         Le manager devra également aider la personne à réguler sa charge de travail pour la mettre en adéquation avec ses capacités actuelles ; le tout sans faire en sorte que la situation soit perçue comme un échec
  •       Une visite chez le médecin du travail et la proposition d’une assistance psychologique sont à mon sens obligatoires. Un coaching est également intéressant si la personne n’est pas encore à un stade clinique
  •       Enfin, pour renforcer la reconnaissance, le manager devra effectuer un suivi régulier  de la personne et lui rappeler ses réussites et ne pas encourager le sur-engagement au travail

Matthieu Poirot

Expert en qualité de vie au travail, leadership et développement organisationnel 

Expert in Quality of Life at Work, Leadership and Organizational Development 


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©Matthieu Poirot,2007-2016.

1 commentaire:

Geneviève a dit…

Excellente analyse